Tatouages sur les bras, casquette sur la tête, l’air concentré, Christophe Renard s’ingénie à faire vivre le métier ancien de lettreur artisanal dans son atelier de Villiers-sur-Marne, pour personnaliser les façades des magasins. Un métier qui n’est plus pratiqué en France que par quelques rares passionnés, et qu’il a donc appris tout seul, sur Internet. Rencontre.
Avec son style rock assumé, Christophe Renard dépoussière l’image de l’artisan. Il pratique pourtant un métier ancien dont l’âge d’or se situe entre le XIXe et le XXe siècle. Avec ses pinceaux et ses poncifs (sorte de calque), ce spécialiste de la calligraphie personnalise les façades des magasins, des caves et des restaurants. Il peint à la main les noms des enseignes et, par des jeux de couleur, d’ombre, de profondeur, et de lumière, il sublime les devantures. “Parfois, je me dis que je devrais essayer de plus ressembler à un artiste. Peut-être, en me baladant avec un pinceau derrière l’oreille” plaisante-t-il.
Ce métier est aujourd’hui en voie de disparition, car fortement concurrencé par les autocollants, plus rapides, plus simples d’utilisation et moins cher. Pour l’artisan, les deux techniques sont tout simplement incomparables. “Une enseigne a plus d’âme lorsqu’elle est peinte à la main. C’est pour cette raison que je mets mes pinceaux au service de tous ceux qui aiment le charme irremplaçable du travail artisanal.”
Du graffiti à la calligraphie
L’attrait de Christophe Renard pour les lettres ne date pas d’hier. Il se souvient encore parfaitement de la fascination qu’il avait, plus jeune, pour les tags dans les tunnels du métro : “Je suis tombé dans la calligraphie par le graffiti. Mais, je n’ai jamais été un vandale !” lance-t-il en souriant. C’est l’observation des graffs qui l’aide à développer une sensibilité intuitive à l’élégance des lettres. Progressivement, il se détache de cet art de la rue : “il y a une grande liberté dans le graff, mais un jour, je me suis demandé à quoi devait réellement ressembler un A”. Il découvre les règles strictes de la calligraphie dans des livres d’artistes, et développe un sens esthétique de son art. “On reconnaît une belle lettre à l’œil, il faut que ce soit harmonieux. Même si la lettre est déformée, il faut que ce soit harmonieux. C’est comme regarder une œuvre d’art. Pourquoi est-elle belle ? Parce qu’à l’œil, quelque chose se produit.” Au quotidien, il affirme un style simple : “Il y a des styles très compliqués à faire, mais que je ne vais pas forcément apprécier. Je préfère quelque chose de plus simple, mais presque parfait.”
Internet comme professeur
Comme pour beaucoup de reconvertis professionnels, le confinement a été un moment de rupture dans la carrière professionnelle de Christophe Renard. En 2020, il quitte son poste dans la restauration et se lance dans sa passion. Malgré l’appréhension, il ouvre son enseigne : “Le lettreur parisien”. “C’était ma passion et à un moment, je me suis dit qu’il fallait essayer d’en vivre. Mais, c’est dur de se lancer parce qu’il faut se faire connaître, c’est un tout petit métier et beaucoup de commerçants ne savent même pas qu’il existe.”
Contrairement à la tradition, Christophe n’apprend pas son métier auprès d’autres artisans installés. Ce métier n’est pratiqué que par une poignée de personnes en France. Alors, la transmission des savoirs à la nouvelle génération de professionnel se fait très difficilement. Le nouvel artisan a contourné ce problème en se tournant sur Internet. Il se lance dans sa reconversion professionnelle en solitaire, dans son atelier, à l’abri des regards, en se permettant toutes les erreurs pour atteindre la perfection du geste. Il achète des formations en ligne, contacte ses homologues sur les réseaux sociaux, regarde des heures de vidéos sur YouTube, et se démène sur son établi pour maîtriser de nouvelles techniques. “Sur Internet, il y a tout. Après, c’est un gros travail de recherche parce que, même si les gens publient ce qu’ils font, je dois décortiquer toutes les étapes pour pouvoir les refaire. J’ai commencé à m’y intéresser un an avant le lancement de mon entreprise et, depuis, 95 % de ce que je regarde sur Internet est lié à ça.”
Des efforts récompensés, car, depuis quelques mois, il est à son tour contacté sur ses réseaux sociaux par des passionnées à la recherche de conseils. “C’était tellement compliqué de se former de cette manière que lorsqu’on vient me demander des conseils, je partage le maximum de mes connaissances.”
“Des hauts et des bas”
Pour bénéficier de ce savoir-faire, il faut compter 700 à 900 euros pour une enseigne simple de 4 à 5 mètres de large. Une fourchette donnée à titre indicatif, car, comme le précise Christophe Renard : “Je calcule surtout en termes de temps. Le plus gros n’est pas toujours le plus cher. Une petite chose peut demander beaucoup de temps, puisqu’elle requiert de la minutie.” Les prix augmentent à mesure que les techniques utilisées sont complexes, et les matériaux coûteux, comme c’est le cas pour les effets de 3D ou la feuille d’or. “C’est fait à la main, ça prend du temps, il faut des techniques particulières et un certain matériel, donc ça se répercute sur le prix.”
Depuis l’ouverture de son entreprise, économiquement parlant, “ce sont des hauts et des bas” décrit-il. Grâce à son contrat avec le groupe Bertrand (Hippopotamus, Léon), pour lequel il travaille depuis deux ans, il s’assure une certaine stabilité financière. “J’ai la chance d’avoir ce gros client qui fait que je suis rentable, sinon c’est tous les jours dans la rue, à aller voir les commerçants et les boutiques en travaux.” Un contrat stable qu’il complète avec des projets sollicitant davantage sa créativité. “Une partie du métier consiste à créer avec les clients un lettrage avec un style particulier.”
“C’est comme les arts martiaux, c’est toute la vie”
Sur Internet, dans la communauté des peintres en lettres, explique-t-il, “on tombe toujours sur plus forts que soi. On se dit que ce que fait l’autre est splendide et on veut le maîtriser aussi. Alors, on est pris d’une sorte d’obsession, on se demande quel matériel et quelle technique utiliser. On essaye, ça rate, on recommence. C’est un défi personnel”. Pour Christophe, la calligraphie “c’est comme les arts martiaux, c’est toute la vie”.
Dernier challenge en date pour l’artisan lettreur : l’or. Un matériau sensible qui lui a demandé plusieurs années d’apprentissage. “Depuis le début, j’essaye avec l’or. Avant je n’avais pas la bonne méthode, ni le bon matériel. Et, il y avait des petits détails qui avaient leur importance et que je n’avais pas remarqué. Mais, là, ça y est, je commence à toucher au but.”
Pour en savoir plus, voir son Instagram Le Lettreur parisien
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