Val-de-Marne | 17/11
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10 000 postes à pourvoir dans l’industrie en Val-de-Marne : comment relever le défi

10 000 postes à pourvoir dans l’industrie en Val-de-Marne : comment relever le défi © CD

Réindustrialiser pour créer de l’emploi local, limiter l’empreinte carbone… Les pépites industrielles ne manquent pas, les défis non plus, à commencer par celui des ressources humaines, dans un secteur qui souffre de l’image des d’usines pénibles et bruyantes du siècle passé. Focus en Val-de-Marne.

“J’ai fait une licence en histoire de l’art et lettres modernes avant de me spécialiser en métiers et art de l’exposition à Rennes, dans le cadre d’un master professionnalisant, témoigne Opale Ferrer (photo de une). J’avais choisi une spécialité logistique et j’ai donc travaillé sur tout ce qui est transport, douane, conditionnement des œuvres d’art, mise en exposition, installation”, explique la responsable logistique d’un des sites du groupe aéronautique Aresia, à Valenton. C’est lors d’un emploi comme responsable logistique, chargée de collection qu’elle a fait connaissance avec le directeur du site d’Aresia Valenton, qui l’a  convaincue de rejoindre l’aéronautique. ”Cela n’a rien à voir, mais la logistique reste de la logistique, même si ce n’est pas le même produit que l’on manipule et que l’on traite. Il y a aussi des spécificités et des demandes d’attention, comme on peut avoir avec une œuvre d’art. Quand je travaillais dans l’art, j’avais la satisfaction de voir exposée l’œuvre dont j’avais organisé le transport. Aujourd’hui, je travaille à la production et au transport d’éléments qui seront montés sur un avion que je pourrai voir voler. Et cela a du sens aussi pour moi de me dire que je travaille pour notre pays.” Âgée d’une trentaine d’années, Opale Ferrer, l’une des plus jeunes managers de son site de production, avec 20 personnes dans son équipe – tous des hommes- fait partie de ces profils qu’on aime à mettre en avant pour dépoussiérer l’image de l’industrie.

Au global, la filière reste très majoritairement masculine et cela commence dès l’école. “Sur 2000 alternants environ, j’ai 5% de filles, chiffre Christophe Aufort, directeur général de l’Aforp, organisme de formation professionnelle créé en 1961 par le Gim (Groupement des industriels de la métallurgie) pour former leurs ouvriers, et qui s’est progressivement diversifié du CAP au Master. Et j’ai 5% de filles parce que j’ai une filière informatique. Si j’enlève les informaticiennes, je pense que je dois tomber à 1%. Quand j’ai une chaudronnière, on en fait des reportages et des photos pendant toute l’année !” Des réflexes difficiles à changer. “Quand on va dans un salon, les garçons vont vers la mécanique et les filles vers la coiffure”, reconnaît le directeur de l’Aforp. 

Féminiser l’industrie : pas un problème physique mais d’image

Sur le site d’Aresia Valenton, il y a 50 femmes sur 243 salariés, soit environ 20%, au-dessus de la moyenne nationale de 16% toutefois. Au pôle câblage, une employée expérimentée explique avoir commencé son parcours professionnel comme caissière. Pour l’entreprise, cela constitue l’un des enjeux de ressources humaines (RH) pour ne pas se couper d’une partie des profils compétents.  “Tous les postes de travail sont accessibles indifféremment aux hommes et aux femmes”, précise Sylvain Rousseau, président du groupe, qui accueillait ce mercredi 12 novembre l’inauguration régionale du Parcours industrie, un événement national destiné à faire connaître les métiers de production et les rendre attractifs.

© CD
Né de la consolidation de plusieurs PMI familiales rachetées par le groupe Rafaut, Aresia, qui a pris son nom actuel en 2022, fabrique des équipements critiques pour les avions hélicoptères de combat. Le groupe, qui s’appuie aujourd’hui sur 12 sites, génère un chiffre d’affaires d’environ 200 millions d’euros et emploie plus de 800 personnes, dont 80 ingénieurs en R&D. Il travaille à l’équipement d’avions de chasse français comme les Rafale mais pas seulement, comptant des clients sur tous les continents. Le site de Valenton était celui du groupe Alkan, l’une des PMI familiales rachetées. Créé en 1923 par l’ingénieur Robert Alkan, l’entreprise s’était spécialisée dans les systèmes d’emports et d’éjection pour l’aéronautique civile et militaire.

L’occasion pour l’usine d’Aresia Valenton, en pleine croissance, de montrer son nouveau bâtiment, à côté de la manufacture historique, désormais entièrement dédié à l’usinage. Un investissement de 10 millions d’euros (local et machines) destiné à augmenter les cadences. De quoi régler déjà l’un des problèmes récurrents de l’industrie en proche couronne, celui du foncier, souvent trop onéreux. Dans le cas d’Aresia, il a pu construire sur son propre site, dans un quartier en plein renouveau, à deux pas du collège Samuel Paty et du futur téléphérique dont les premières cabines en test survolent les bâtiments.

© France Travail
Le président du groupe Aresia, Sylvain Rousseau, fait visiter l’usine au préfet de région, Marc Guillaume, et aux partenaires de l’opération Parcours d’industrie (France Travail, Conseil régional, Groupement des industries métallurgiques (Gim)…)

Au-delà du ratio hommes-femmes, l’enjeu RH de l’industrie est déjà de recruter en nombre suffisant, pour les postes requis. “Nous avons besoin de personnel dans des métiers très techniques : usineurs, contrôleurs, monteurs intégrateurs, ingénieurs”, précise Sylvain Rousseau. Des compétences pointues en partie formées sur place. “Nous nous appuyons pour cela sur France Travail et sur le dispositif POEC, Préparation Opérationnelle à l’Emploi Collectif”, indique le président. Le groupe emploie aussi une quarantaine d’apprentis, représentant environ 5% des effectifs.

“L’industrie est un secteur d’avenir (…) où l’on est mieux payé qu’ailleurs

“L’Ile-de-France reste la première région industrielle française”, rappelle Alexandra Dublanche, vice-présidente de la région. “Cela représente environ 300 000 emplois rien que dans l’industrie métallurgique”, chiffre Bruno Berthet, président du Medef Ile-de-France. “L’industrie est un secteur d’avenir, où il a de la demande, où l’on est mieux payé qu’ailleurs et où il faut que les jeunes se tournent”, résume Marc Guillaume, préfet de la région Ile-de-France. “Au-delà de ce message général, il faut territorialiser l’action avec des job dating , des visites… pour que les jeunes se disent… Ça peut m’intéresser aussi.”

Des métiers qui évoluent

Dans le Val-de-Marne, ce sont 9 800 offres d’emplois dans l’industrie qui sont actuellement diffusées, indique France Travail. Parmi ces offres, les 10 métiers les plus recherchés sont les suivants :

Les 10 métiers les plus recherchés dans l’industrie en Val-de-MarneNombre d’offres d’emploi diffusées via France Travail
Ingénieur(e) R&D1 109
Responsable qualité756
Responsable d’unité de production689
Tourneur(euse)-fraiseur(euse)413
Ingénieur(e) méthode et processus403
Ingénieur(e) hygiène sécurité et environnement (HSE)394
Dessinateur(trice)-projeteur(euse) en mécanique338
Dessinateur(trice) en électricité électronique274
Technicien(ne) de laboratoire260
Technicien(ne) méthodes253
Source France travail

Un secteur qui ne manque pas d’innovation non plus, avec ses startups, notamment autour du  numérique, et désormais aussi de l’intelligence artificielle, pour améliorer la planification, la gestion de production. “La machine elle-même, au travers de processus digitaux, va en temps réel vérifier sa qualité, éventuellement se recalibrer pour tenir compte des petites dérives liées à la température par exemple. Cela permet une augmentation très significative des cadences et du niveau de qualité atteint” explique Bruno Berthet. Une mutation qui modifie aussi les profils recherchés.

“C’est fini le temps de papa où on rentre avec le bleu de travail plein de graisse”

Reste à déconstruire les préjugés sur le métier. L’une des missions de l’Aforp, avec ses hubs des métiers et un bus qui va vers les collégiens pour leur donner à voir les métiers industriels d’aujourd’hui. “C’est fini le temps de papa où on rentre avec le bleu de travail plein de graisse”, insiste son directeur, Christophe Aufort, qui participait ce jeudi 13 novembre aux Assises du développement économique de l’intercommunalité Grand-Orly Seine Bièvre (GOSB, 24 communes dont 18 en Val-de-Marne et 6 en Essonne).

Christophe Aufort, directeur général de l’Aforp, lors des Assises du développement économique du Grand-Orly Seine Bièvre

C’est tout l’enjeu du parcours industrie, de donner à voir le métier autrement.  “On a besoin de montrer les atouts de l’industrie et les atouts de l’industrie en Ile-de-France, le facteur de proximité, la présence dans les territoires. Le but est d’être plus attractif pour pouvoir mieux recruter, améliorer la mixité. Pour déconstruire les stéréotypes du passé, il faut montrer ce qu’on fait.. Tout le monde sait ce qu’est un boulanger, un banquier, mais très peu de personnes entrent dans une usine”, motive Bruno Berthet.

Gamifier pour attirer l’attention

En parallèle des centaines de visites et ateliers, une plate-forme Forindustrie a été mise en ligne pour informer et mettre en situation via des jeux. Objectif : gamifier l’approche pour attirer l’attention. “Durant trois semaines, cette plate-forme proposera un challenge avec des jeux et, dans le cadre du parcours, des vidéos de témoignages de salariés. Seront également proposées des réunions en visio.  Au total, 10 000 demandeurs d’emplois ont été mobilisés dans ce challenge”, chiffre Delphine Philippe-Giraud, directrice territoriale des Yvelines pour France Travail, qui pilote le parcours industrie pour l’Ile-de-France.  Sur ces 10 000 demandeurs d’emploi, “1 140 sont enregistrés en Val-de-Marne”, précise Gérald Marol, directeur France Travail Val-de-Marne.

Au-delà de l’événement ponctuel : comment sensibiliser à l’échelle ?

Une sensibilisation qu’il reste néanmoins difficile de mettre à l’échelle. “La région Île-de-France, c’est  650 000 collégiens”, rappelle Sophie Gaufreteau, directrice opérationnelle du Campus des Métiers et des Qualifications “Industrie du Futur”, invitée à échanger lors des Assises du GOSB. “Si on veut que chaque collégien ait l’opportunité de voir une entreprise, il faut ouvrir partout, tout le temps !”

© CD
Sophie Gaufreteau, directrice opérationnelle du Campus des Métiers et des Qualifications “Industrie du Futur”

Recruter sans CV

Pour Bruno Tricoire, directeur moteurs d’Air France Industrie, “ce sont aussi les parents 
qui ont du mal à pousser leurs enfants vers des bacs pro, alors que ce sont des vraies filières qui peuvent être aussi exigeantes et mènent à de superbes métiers.”
Dans le Val-de-Marne, Air France Industrie dispose d’usines d’entretien aéronautique à Orly et Villeneuve-le-Roi. “Nous réparons les moteurs d’Air France mais aussi de nombreuses compagnies du monde entier. Il y a une certaine satisfaction à convaincre un client chinois de démonter un moteur de son avion, basé à Pékin, pour  l’envoyer à Orly afin de le réparer, en créant des emplois à Orly !” défend le directeur, invité lors des Assises du GOSB. “Réviser un moteur d’avion est une opération très complexe. Un moteur d’avion, c’est en effet 30 000 pièces environ, qu’il faut désassembler et réassembler avec des gestes techniques, d’une précision extrême.” Un enjeu de compétences qui comprend aussi la transmission. “Nous avons environ 20% de personnes qui vont partir dans les 5 ans et qui sont les plus expérimentées.” L’entreprise, qui a accueilli l’inauguration nationale du parcours industrie ce même mercredi, avec le ministre délégué Sébastien Martin, fait donc partie de celles qui ouvrent grand leurs portes pour donner envie. “Air France Industrie compte recruter 1000 personnes en France d’ici à 2027.” Pour accélérer les embauches, l’entreprise a noué un partenariat avec avec France Travail pour mener des opérations de recrutement basées sur les simulations de tâches, sans CV. “Cela nous a permis de recruter des gens aux profils différents, notamment en reconversion professionnelle. Il y a des gens de la mécanique automobile, mais aussi des pâtissiers qui viennent nous rejoindre, des gens avec des profils et des histoires individuelles très différentes !”  Un procédé qui a aussi permis d’augmenter les recrues féminines.

Lire aussi : Orly-Roissy : les DRH s’unissent pour recruter autrement dans l’aéroportuaire, et ça marche

© CD
Bruno Tricoire, directeur moteurs d’Air France Industrie

Alerte sur l’apprentissage : des centaines d’étudiants sur le carreau

Faire coïncider les profils avec les besoins, à l’échelle locale, c’est l’une des clefs du problème. “Le secret, c’est la proximité vis-à-vis des entreprises”, pour “co-construire” les programmes de formation avec elles, poursuit Christophe Aufort. “A Cachan, par exemple, l’entreprise RTE nous a demandé de former des groupes de femmes aux basiques de l’électricité.”  Le directeur de l’Aforp alerte toutefois sur la fragilité de ce développement des profils industriels, alors que le recours à l’apprentissage a diminué. “Sur le site de Cachan, où nous sommes installés depuis septembre, j’ai 550 jeunes aujourd’hui présents dont 156 n’ont toujours pas d’apprentissage ! Et pourtant, ce sont des métiers en tension : cyber-sécurité, administration système des réseaux, maintenance électrotechnique…”

Handicap, logement… penser les angles morts

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Fabrice Van Kote, secrétaire général de l’ANRH

Reste un angle mort, celui de l’emploi des personnes porteuses de handicap. Une population qui représente 9% des actifs mais au sein duquel le taux de chômage est deux fois plus important que la moyenne, rappelle Fabrice Van Kote, secrétaire général de l’ANRH (Association pour l’Insertion et la Réinsertion professionnelle et humaine des Handicapés), invitant les entreprises à recourir aux services des entreprises adaptées. Président de l’intercommunalité Grand-Orly Seine-Bièvre, Michel Leprêtre a pointé un autre paramètre dans l’équation, celui du logement des jeunes et étudiants, pour pouvoir vivre à une distance raisonnable de son travail.

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