Près d’une centaine de personnes se sont réunies ce mardi 6 mai pour un pique-nique au parc situé face au “Centre de de recherches Sud” du campus Condorcet. Des chercheurs, étudiants, habitants et employés qui revendiquent la préservation de cet espace vert sur lequel doit pousser le second bâtiment de l’École des hautes études de sciences sociales (EHESS) à l’horizon 2030.
Christian et Michèle ont traversé le canal “par solidarité parce qu’il y a déjà très peu d’espaces verts à Aubervilliers. On compte 1,4 mètre carré par habitants. On ne comprend pas pourquoi construire un nouveau bâtiment“, expliquent-ils, une gamelle de lentilles en salade dans les mains.

“Ce projet est complètement aberrant quand on connait l’urgence écologique“
“L’objectif de ce pique-nique est de mettre en lien tous les acteurs et les collectifs d’habitants et d’enseignants qui se sont constitués autour de la défense de cet espace“, explique Julie Pagis, chercheuse à l’IRIS/CNRS et coordinatrice de l’intersyndicale. Comme le rappelle le schéma pluriannuel de la stratégie immobilière 2024-2028 approuvé au conseil d’administration le 25 mars dernier, la deuxième phase de construction du campus Condorcet prévoit la construction du second bâtiment de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) sur le parc de l’ilot 4, juste à proximité du premier “à la suite de la décision de l’État”. Cette opération, d’un budget prévisionnel de 125 millions d’euros, doit permettre de libérer la totalité de l’immeuble du 54 boulevard Raspail.
“Depuis 2021, les projets immobiliers du campus nous inquiètent. 300 membres des 11 établissements ont signé une pétition pour un campus vert et ouvert sur les habitants, pour préserver ce parc. On veut bien sûr que nos collègues de l’EHESS Raspail nous rejoignent, mais il y a plein de bâtiments vides tout autour. Ce projet est complètement aberrant quand on connait l’urgence écologique, l’importance des arbres et des îlots de fraîcheur“, poursuit Julie Pagis, qui est aussi membre du syndicat national de la recherche scientifique (SNCS). Selon la chercheuse, une quinzaine de laboratoires ont signé des motions “demandant à la direction de faire une étude chiffrée sur l’opportunité de racheter un des immeubles inoccupés. On parle d’un projet de 125 millions d’euros. Mais nous n’avons jamais été écoutés“, déplore-t-elle.

Le schéma pluriannuel de la stratégie immobilière du Campus précise le projet, indiquant que “le préprogramme, finalisé fin 2023, a permis d’optimiser les besoins de surface arbitrés à hauteur de 18 000 m2 de surface de plancher. L’étude d’évaluation socio-économique est en cours de finalisation. Les études de programmation ont démarré début 2024. Les dossiers d’expertise et de labellisation sont également en cours de finalisation. À ce jour, la livraison du bâtiment est prévue pour 2030.” Un autre projet doit également sortir de terre en 2028, un peu plus au nord sur un terrain basket, pour accueillir le bâtiment de l’École pratique des hautes études (EPHE)
“On demande un moratoire immédiat sur le concours d’architecture qui va être lancé pour le bâtiment EHESS et de vraies études de faisabilité, pas des petits documents de quatre pages, sur la requalification de tous les bâtiments qui sont vides“, exige Camille Goirand, membre élue du conseil d’administration du campus depuis trois ans, en référence à la piste du Pulse. La piste de l’ancien siège du comité d’organisation des jeux olympiques de Paris 2024, aujourd’hui abandonnée avant de devenir le nouveau siège du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis en 2026.

Le bail du Pulse contesté en justice par les syndicats
“Les salariés de l’EHESS ne veulent plus travailler sur deux sites séparés, mais ils ne veulent pas non plus travailler dans un campus invivable et pensé comme une forteresse“, estime, pour sa part, Paul Sorrentino, enseignant à l’EHESS et délégué CGT, pour qui l’alternative du Pulse reste possible, puisque les salariés contestent en justice la signature du bail. Sud Solidaire et la CGT ont récemment déposé plusieurs recours au tribunal administratif de Montreuil, notamment pour connaitre le contenu du contrat de location signé par le département en vue de le dénoncer. “Ce déménagement au Pulse nous a été imposé unilatéralement. Nous allons y perdre 50% de notre espace de travail et des modalités de travail en flex office incompatibles avec les missions d’une administration“, abonde Lydia (Sud Solidaire), qui s’est jointe au rassemblement avec un autre salarié.
“Quand on se promène la nuit, c’est Versailles ici, mais on voit bien que les bureaux sont inoccupés“
Autre enjeu, “ce parc se situe sur une diagonale Est-Ouest, qui a été oubliée dans le grand projet urbain de La Plaine, développé sur un axe Nord-Sud. Les deux villes, Saint-Denis et Aubervilliers, doivent dialoguer“, relève, Jean-Jacques Clément, animateur de l’association Mémoire vivante de La Plaine. “L’affectation des sols est décidée par le plan local d’urbanisme intercommunal [PLUI] qui est voté par le conseil de territoire de Plaine Commune. Ce PLUI est en cours de révision. Tout citoyen peut s’exprimer dans ce cadre. Je rappelle que l’on est pratiquement en campagne électorale pour les municipales de 2026”, signale, quant à lui, un habitant de Saint-Denis. De fait, l’enquête publique de l’intercommunalité Plaine Commune est ouverte depuis le 22 avril et sera close le 2 juin à 17h.
Une pétition des promeneurs de chien à l’origine du mouvement
Parmi les participants au pique-nique, quelque habitants sont aussi présents. “Parfois, c’est ouvert le week-end, ça dépend, mais il y a toujours des gens, beaucoup de jeunes, qui se réunissent boire un pot, faire des barbecues“, indique Hilario, accompagné de son chien Oslo et installé dans le quartier depuis 1995. “Quand on se promène la nuit, c’est Versailles ici, mais on voit bien que les bureaux sont inoccupés. C’est dommage de détruire ce parc, parce que c’est un lieu où les gens se rencontrent“, rebondit Odile qui promène Nestor, le chien d’un voisin.
“Pour la petite histoire“, relate Emmanuel Bellanger, directeur de recherche du CNRS, “c’est un What’s app des promeneurs de chiens du quartier qui est à l’origine de cette mobilisation“. Leur pétition, lancée en février, a réuni plus 1 000 signataires. “Il faut à tout prix préserver ce parc parce que c’est un lieu de lien social. Les habitants veulent aussi un quartier qui puissent les préserver de l’urgence climatique et environnementale. On ne peut pas, nous, chercheurs en sciences sociales, fermer les yeux sur ce changement brutal auquel nous assistons. Défendre un espace vert d’un hectare dans un quartier comme celui-ci, c’est aussi être en accord avec le sens que nous donnons à nos métiers“, insiste-t-il.
Un nouveau rendez-vous de mobilisation est d’ores et déjà lancé jeudi 12 juin, à 18h pour un apéro cette fois. Une séance du conseil d’administration est, par ailleurs, prévue le 1er juillet au matin.
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