Du crémant, un bon plat, un karaoké et surtout une très grande convivialité. Comme tous les ans, l’association des Petits frères des pauvres a fait son réveillon de Noël. L’antenne de Nord-Bois de Vincennes, agréée par l’association depuis 2024, organisait son deuxième repas solidaire ce mercredi 24 décembre, avec une quinzaine de personnes isolées.
Des guirlandes vertes et or serpentent sur les tables du restaurant associatif Nora, réorganisées en U pour l’occasion. Sur chaque place, une petite boite a été déposée. À l’intérieur, un petit savon sur lequel est dessiné un renne de Noël. Peu à peu, la salle, située au rez-de-chaussée du tiers-lieu les Bains-douches de Fontenay-sous-Bois, se remplit. “C’est une voisine qui m’a parlé des Petits frères des pauvres et depuis je viens à chaque fois qu’ils organisent quelque chose. Là, c’est Noël, c’est bien! Il y a des cadeaux! Et j’ai retrouvé un copain“, glisse Dominique, 65 ans, venue de Vincennes, en s’asseyant à côté de Jean-Pierre.

“Je vais danser le French cancan“
Depuis 80 ans, l’association lutte contre l’isolement des personnes âgées. “L’objectif, c’est de partager un moment pour que les gens ne restent pas seuls. On essaye de faire plusieurs événements durant l’année qui leur permettent de sortir de leur cadre habituel“, explique Didier, bénévole et responsable de l’équipe de l’antenne Nord-Bois de Vincennes, qui compte aujourd’hui 40 accompagnateurs pour 42 bénéficiaires. Teïa, elle aussi, a le sourire. “Je vais danser le French cancan. Je suis une jeune fille de 19 ans“, lance-t-elle, en trinquant avec une coupe de crémant. Comprendre 91 ans. “C’est elle qui a brodé les fleurs pour chacun des convives qui le porte“, signale Stéphanie, la bénévole et trésorière de l’association qui l’accompagne.

“On bavarde beaucoup et à force, on finit par s’attacher l’une à l’autre“
Pour s’attabler, il faut parfois manœuvrer avec les fauteuils roulants, comme celui de Danièle, 77 ans. “Je suis très contente d’être ici. C’est mieux que de rester à l’Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes]”, confie-t-elle. Ses enfants viennent encore la voir de temps en temps, mais depuis un an, ce sont Valérie (qui n’a pas pu venir) et Rania, qui se relaient pour venir la voir régulièrement. C’est le principe des Petits frères des pauvres : deux bénévoles accompagnent idéalement une personne. Chacun lui rendent visite durant un minimum d’une heure et demie tous les 15 jours. “J’ai rencontré Danièle l’année dernière à la même place. On bavarde beaucoup et à force, on finit par s’attacher l’une à l’autre“, observe Rania. Cette maman d’un ado de 20 ans a rejoint l’association depuis deux ans. “J’ai grandi dans une famille nombreuse. Je suis de confession musulmane et dans ma culture, les personnes âgées sont très importantes. Je n’arrive à comprendre qu’on abandonne les gens“, commente-t-elle.

“On a toujours besoin de bénévole“
Les bénéficiaires sont orientés vers les Petits frères des pauvres par le centre communal d’action social (CCAS), les Ehpad ou les familles. C’est justement en décembre et à la veille des grandes vacances d’été que les signalements de personnes isolées affluent. “On a toujours besoin de bénévoles”, insiste Charlotte qui s’occupe des recrutements. “Le choix des bénéficiaires est très rigoureux. Les entretiens peuvent durer plus d’une heure parce qu’on veut s’assurer de l’engagement des personnes qui veulent nous rejoindre et que leur démarche n’est pas qu’un coup de tête. L’association porte aussi comme valeur le respect de la dignité de toute personne. On n’est pas dans le jugement. Mais, on est là aussi pour alerter sur des situations qui peuvent être problématiques et parfois très difficiles sur le plan social ou psychique. Heureusement, on est deux à suivre un même bénéficiaire. On fait souvent des réunions, ce qui permet de se décharger et de se soutenir mutuellement. La fraternité est une autre valeur importante pour nous“, précise Charlotte. Ancienne aide-soignante, elle a, elle-même, eu affaire avec le cas d’une personne qui, faute d’aide extérieure, avait cessé de se nourrir régulièrement.
“J’essaye de prendre tout ce que la vie me donne“
Dans la salle du restaurant Nora, les bénévoles vont et viennent pour servir les bénéficiaires : œufs mayonnaise, blanquette de veau, gâteau au chocolat et crème Chantilly… Carole a tenu à être présente bien que les deux dames qu’elle suit ne participent pas à ce déjeuner de Réveillon en raison de “problèmes cognitifs devenus trop lourds“. Pour, elle, l’aide sociale qu’elle apporte est certes importante, mais, relate-t-elle, “c’est surtout le côté très humain et chaleureux qui m’a intéressé aux Petits frères des pauvres. On fait tous un peu à notre mesure. Lorsque l’on vieillit, on devient transparent, alors que les personnes âgées sont une grande richesse. Cet abandon crée de la misère humaine. Alors je vous assure que je retire un immense bonheur lorsque j’obtiens un sourire d’une personne qui est seule à longueur de journée et triste.” Pour cette bénévole depuis près de trois ans, la fréquentation d’un pensionnaire d’un Ehpad peut “changer le regard des soignants sur elle.” Pour autant, les visites hebdomadaires n’ont pas vraiment changé le quotidien de certains. “Dans notre établissement, on ne nous change même plus la nuit“, témoigne une dame. De son côté, Madeleine, bientôt 90 ans, n’envisage pas de vivre en Ehpad. “Je ne veux pas devenir centenaire et être à la merci des autres“, opine cette Saint-Mandéenne. “Dans mon immeuble, tous mes voisins sont morts et ceux qui se préparaient à m’enterrer aussi. J’essaye de prendre tout ce que la vie me donne“, poursuit-elle.
“Ce qui est important pour nous, c’est de construire une relation dans la durée“
Environ un tiers des bénéficiaires de l’antenne de Nord-Bois de Vincennes sont placés en Ehpad, selon Didier. “Nous ne sommes ni des parents, ni des voisins, ni des amis. Alors, quand un bénéficiaire décède, on n’en est pas informé. C’est une position difficile à vivre, surtout quand on l’a côtoyé depuis plusieurs années“, indique Didier. S’il voudrait travailler à une meilleure entente sur ce point, cet ancien restaurateur qui a travaillé sur l’évolution de la gastronomie dans les Ehpad, estime que les relations entre l’association et ces établissements restent “bonnes“. Le problème de l’isolement concerne d’ailleurs tout autant les personnes qui vivent encore à leur domicile. “De plus en plus de personnes se retrouvent isolées. C’est mécanique : d’un côté, il y a le vieillissement de la population et, de l’autre, le système qui fait que les personnes âgées ne sont pas ou mal prises en charge. Le métier d’aide-soignant est difficile, mal payé et mal valorisé“, commente Didier. “On ne peut pas non plus en vouloir aux enfants qui doivent parfois s’éloigner de leurs parents pour trouver du travail. Certains viennent les voir pour leur anniversaire ou une fête, mais ça fait peu de jours dans l’année. Ce qui est important pour nous, c’est de construire une relation dans la durée.”

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