“Tu as le droit d’être heureuse”: Rose aimerait voir sa sœur anorexique reprendre goût à la vie, mais elle ne veut pas perdre pied. Avec d’autres frères et soeurs d’adolescents malades, elle écrit au feutre des phrases en couleur sur un “Mur de l’Espoir”, dans le cadre d’une thérapie multifamiliale.
Ils sont cinq et passent quatre jours aux vacances de Toussaint, avec leurs parents, à faire des ateliers et des jeux, entourés par une équipe de soignants dans une vaste salle au sous-sol de l’hôpital Jean-Verdier à Bondy.
Cet après-midi, ils ont décidé d’écrire “dans tous les sens” sur une affiche des phrases qui vont “aider les familles”.
“Je ne comprends pas trop comment aider ma sœur à guérir” glisse, l’air triste, Lucie (les prénoms ont été modifiés), abattue par un climat difficile à la maison. “On ne va pas écrire: -Tu as le droit de prendre du poids-, parce qu’elle va entendre: -Tu DOIS prendre du poids-“.
Feutre en main, alors que son petit frère virevolte sur la musique des Pokémons, Rose se lance: “Des fois, on peut culpabiliser d’être heureuse, parce que sa sœur est malade, alors on va mettre -Tu as le droit d’être heureuse-“. “Ma mère m’a dit: -Continue ta vie, tu n’as pas de rôle à avoir-, et ça m’a fait du bien”.
Mais “il n’y a rien pour les parents ?”, remarque Karim, carrure imposante et regard doux. Protecteur avec une mère angoissée par la maladie de sa petite sœur, il propose d’ajouter: “Ne vous inquiétez pas les parents: vous gérez”.
“L’anorexie mentale (…) est la maladie psychiatrique la plus meurtrière“
Ces six familles, qui ne se connaissent pas, ont chacune une fille adolescente soignée à l’UFITAA, une unité hospitalière spécialisée dans les troubles alimentaires, qui leur a proposé une thérapie multifamiliale, éprouvante émotionnellement.
“L’anorexie mentale, qui touche à 90% des filles, c’est la maladie psychiatrique la plus meurtrière avec 8 à 9% de décès: la moitié par suicide, l’autre par dénutrition”, explique le pédopsychiatre Noël Pommepuy, qui encadre cette thérapie. “Notre but est d’installer le rétablissement le plus vite possible”.
Née à la fin des années 1970 en Grande-Bretagne et diffusée depuis en Europe et en Amérique du Nord, cette approche, qui mêle thérapies de groupe et familiale, réunit des familles autour d’une problématique.
Complémentaire des autres soins, elle amène ces familles, souvent isolées et désemparées, à dialoguer afin de “trouver des ressources et des stratégies” pour aider leur enfant, résume le Dr Pommepuy.
“En première ligne face aux troubles de leur frère ou leur sœur”, les fratries y trouvent “un espace de parole pour partager ce qu’elles ressentent”, expose la psychiatre Isabelle Sabbah, qui dirige un service de pédopsychiatrie à l’hôpital Sainte-Anne.
“Depuis que ma sœur est malade, j’ai craqué deux fois”, confie Léa. “La psy m’avait dit de rester à l’écart quand ça se passe mal avec les parents, pour garder le lien avec ma sœur. Mais elle leur parlait trop mal, je lui ai crié dessus”.
Mutique, fixant le sol, les bras croisés, sa sœur Agathe, 17 ans, ne participe pas aux ateliers. “C’est chiant”, dit-elle à l’AFP. “Je ne suis plus malade, j’ai repris du poids. Mes parents croient que je suis encore malade parce que je ne leur parle pas”.
Pendant la semaine, les repas seront “très stressants” pour ces jeunes filles de 14 à 17 ans, qui voient dans la nourriture “une menace”, souligne le Dr Pommepuy. Epuisées, les plus dénutries se meuvent au ralenti, le regard éteint, les yeux soudain mouillés de larmes face à une cuillérée de riz.
“Elles sont à fleur de peau, anxieuses et déprimées parce qu’elles sont dénutries”, explique Flore Chevet, psychologue formée depuis 2018 à la thérapie multifamiliale, qui incite les thérapeutes à se mettre en retrait pour laisser les familles interagir, ce qui ne va pas de soi.
“Ça me déstabilise, ça fait tout bizarre: normalement, on est beaucoup plus interventionniste pendant les repas”, avoue la psychologue Éloïse Merdrignac-Guillou. “Mais après avoir galéré, les collègues y sont arrivés, ça viendra”.
Cette thérapie offre “le soutien, le regard extérieur, sans jugement, d’autres familles: ça aide vraiment, on se sent tellement seuls face au cataclysme qu’a été l’anorexie d’Agathe” confie sa mère, Sophie.
En quelques jours, des liens se sont tissés: “une famille a invité les autres pour un barbecue“, se réjouit Flore Chevet.
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