Depuis la mi-décembre, 25 femmes ont trouvé refuge dans un gymnase de Montreuil. Alors qu’il fermera ses portes le 1er février, elles espèrent sortir de la rue. Kikalé, Marie-Madeleine et Aminata témoignent des épreuves qu’elles ont traversées jusqu’à ce mois de répit.
“Dent pourrie est mieux que bouche vide“, souffle Marie-Madeleine. À 47 ans, elle a fui la Côte d’Ivoire après “une dispute” avec son mari. Elle a tout laissé derrière elle. “Je suis soulagée, il vaut mieux être ici que dehors. Avec le froid, c’est trop difficile. On a l’espoir maintenant qu’ils nous trouveront une solution“, glisse-t-elle, en rassemblant quelques effets.
À 9 heures ce mardi matin, le gymnase mis à disposition par la ville de Montreuil depuis le 18 décembre, se vide peu à peu comme les autres jours. Dans une heure, il fermera ses portes. Les visages des 25 femmes qui y sont mises à l’abri, sont encore marqués par la nuit. “Il a fait très froid malgré le chauffage à fond“, commente Maire-Hélène Le Nedic, directrice pôle action et hébergement d’Emmaüs Alternatives, qui gère le dispositif avec la ville et Cité Caritas. Certaines iront à l’accueil de jour proposé par les deux associations. D’autres vaqueront à leurs occupations, comme des rendez-vous médicaux, jusqu’à sa réouverture à 18 heures.
“On se sent comme en famille, on s’amuse“
Plusieurs femmes ont récemment immigré en France et d’autres ont fui des violences ou des situations de rupture familiale ou conjugale. Assise sur le bord de son lit, Niakalé ajuste ses vêtements. “Mon mari ne veut plus voir. Il y a deux mois, j’ai dû partir de chez moi, à Rosny-sous-Bois. J’étais hébergée par un oncle qui a essayé de lui parler, mais il n’a pas voulu. Comme il a déjà sa famille, il m’a demandé chercher de l’aide“, relate-t-elle, en malinké, un dialecte parlé au Mali, son pays d’origine. Sa voisine, Marie-Madeleine traduit. “On est venus en France grâce au regroupement familial. Mais, aujourd’hui, je ne peux plus voir mes deux petits garçons” qui ont 11 ans et 2 ans. “Mon fils aîné, lui, est parti parce que son père voulait qu’il lui donne 400 euros par mois“, s’étrangle-t-elle, les larmes aux yeux.
Chacune a son lit de camp, son duvet, sa table de nuit et son casier. “C’est un peu de confort. On mange bien et on peut se laver. On se sent comme en famille. On s’amuse“, apprécie Aminata. La jeune femme de 33 ans sourit malgré son abattement. Depuis bientôt deux ans et son exil du Mali, elle galère. “Quand je suis arrivée à Paris, j’ai fait une demande d’asile. On m’a proposé d’aller à Quimper. Comme je n’avais nulle part où aller, j’ai accepté. Mais, ma demande a été refusée et ils m’ont mise dehors. Alors, je suis revenue à Paris. Je dormais à la gare Montparnasse. Une femme m’a dit de venir chez elle pour garder ses enfants. Au bout de trois semaines, elle m’a dit qu’elle ne voulait plus de moi. On m’a dit d’appeler le 115, ce que j’ai fait et j’ai fini par arriver ici“, détaille-t-elle.
“L’objectif que l’on partage tous est de permettre à ces femmes de sortir de la rue“
Toutes les femmes accueillies au gymnase, ont été orientées par Interlogement 93, l’opérateur du SIAO (le Service Intégré d’Accueil et d’Orientation) en Seine-Saint-Denis. “C’est la deuxième année que le SIAO a d’emblée, dès le premier jour d’ouverture, identifié les 25 femmes qui ont été mises à l’abri. Ça peut indiquer qu’il y a plus de femmes à la rue. Mais aussi que malgré leurs appels réguliers au 115, il n’y a pas de solution“, analyse Maire-Hélène Le Nedic. Pour Marie-Madeleine, c’est à l’accueil de jour de l’association La marmite, à Bondy, qu’on lui a recommandé d’appeler le 115 pour trouver une place en hébergement d’urgence. “Ce n’est pas évident. Souvent, on te dit qu’il n’y a pas de place. Parfois, j’ai passé deux ou trois heures à les appeler sans réponse. On te dit de ne pas t’arrêter, même quand ça raccroche parce qu’il voit que tu as fait la démarche“, commente-t-elle.
“L’objectif que l’on partage tous est de permettre à ces femmes de sortir de la rue“, insiste Maire-Hélène Le Nedic. Concrètement, il s’agit de créer les conditions pour les orienter vers un hébergement dans des structures plus pérennes. Montreuil mobilise un gymnase depuis quatorze ans. Emmaüs Alternatives a recruté les deux médiatrices et le veilleur de nuit. De son côté, Cité Caritas met à disposition deux travailleuses sociales chargées de réaliser l’évaluation sociale des bénéficiaires. “On cherche à connaître la situation administrative, le réseau social, la composition familiale, de façon à pouvoir compléter au plus vite la fiche SIAO qui permettra de chercher des solutions adaptées aux personnes“, explique Marthe Yohn, directrice de la branche hébergement de Cité Caritas.
“Le véritable atout de ce dispositif, c’est que les trois structures concentrent, sur une période donnée, les moyens pour que ces 25 femmes soient accueillies. C’est ce qui permet d’être plus efficace. Deux travailleurs sociaux pour 25 personnes hébergés, ce n’est pas courant“, résume Valérie Bélard, directrice des solidarités de la ville et directrice du CCAS (Centre communal d’action sociale). “Ce n’est pas seulement un gymnase ouvert parce qu’il fait froid [huit sont en capacité de le faire en Seine-Saint-Denis si le préfet décrète le plan grand froid durant quelques jours]. Dans ce dispositif, on a le temps, quelle que soit la température, de faire l’évaluation sociale et de régler un certain nombre de problèmes“, complète-t-elle. C’est le rôle de la tente dédiée à des consultations médicales située sous un des paniers de basket, en lien avec les centres de santé municipaux de la ville.
“On croise les doigts pour que des places se libèrent“
À 18 jours de la fermeture du dispositif de mise à l’abri, l’angoisse commence à monter. À compter de ce mercredi, il ne sera plus possible de l’intégrer. La dernière femme admise est arrivée la semaine dernière. “Nous n’aurions aucun moyen d’agir pour une personne accueillie la veille de la fermeture. La fin du dispositif est toujours très compliquée pour les dames parce que certaines en voient d’autres partir ou obtenir une orientation. L’attente est difficile“, observe Valérie Bélard. “On croise les doigts pour que des places se libèrent. Chaque année, rien n’est sûr. En 2024, c’était limite : 17 n’avaient rien le jour où l’on a fermé ici, mais avec des perspectives d’hébergement dans les semaines qui ont suivi. Cette année, deux femmes ne se sont finalement pas présentées, et deux autres sont parties parce qu‘elles ne s’y sentaient pas bien. En revanche, une des femmes a déjà été prise en charge dans une autre structure, La Main tendue, à Aubervilliers“, ajoute Maire-Hélène Le Nedic.
Selon le dernier baromètre du SIAO 93, 11 328 personnes étaient mises à l’abri en Seine-Saint-Denis au 30 juin 2024. Un peu plus de 300 appels en moyenne ont été traités chaque jour par le 115-93. Un nombre d’appels stable, qui a généré 20 000 demandes de mise à l’abri, “un niveau rarement atteint depuis 2022“, note le baromètre. Malgré un rehaussement du plafond hôtelier, les demandes non pourvues sont, quant à elles, restées élevées (près de 19 000). Autre constat, relève Marthe Yohn, de plus en plus de ménages se tournent vers le 115 pour des demandes de mise à l’abri. De même, de plus en plus de bénéficiaires de l’hébergement d’urgence sont “des personnes à droits incomplets“, qui doivent être accompagnées sur le plan juridique.
Quand le dispositif de mise à l’abri a été lancé en 2010, la ville de Montreuil s’était concentrée sur les hommes seuls, rappelle Valérie Bélard, “parce qu’ils n’avaient pas réponse via le 115. Il n’y toujours pas de réponse, mais on a choisi de cibler les femmes. Ce qui montre qu’avec les années, il y a surtout une pénurie de places.” En Seine-Saint-Denis, une seule autre ville propose un dispositif de mise à l’abri d’hiver : Livry-Gargan.
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