Les cliquetis des tailleurs de pierre résonnent déjà au chevet de la basilique alors que l’échafaudage monte en façade : la nécropole des rois de France à Saint-Denis va retrouver sa flèche, déposée en 1846. Un nouveau chantier exceptionnel après celui de Notre-Dame de Paris.
“On ne remonte pas des flèches gothiques tous les quatre matins”, sourit Mathilde Bretz, massette et ciseau en mains.
À 30 ans, la tailleuse de pierre se réjouit de participer à ce projet d’exception, tant pour son importance historique que pour les techniques traditionnelles choisies pour cette restauration.
“D’habitude, on a des disqueuses, on a des tronçonneuses”, énumère la jeune “pierreuse” au côté d’un large bloc de calcaire.
À Saint-Denis, pas de “pétards” pour casser la pierre et “refaire la flèche de A à Z”. L’artisane l’assure : “À cet atelier, on fait tout à la main”.
Depuis le XIIe siècle, la tour occidentale de la basilique s’élançait jusqu’à 90 mètres de haut, mais la foudre puis une tornade ont eu raison de la célèbre nécropole, de quasiment tous les rois et reines de France depuis les Mérovingiens.
En 1846, face à sa dangereuse fragilité, choix est fait de la démonter pierre par pierre.
Depuis, le projet du remontage de la flèche a hanté “les mémoires et, un peu comme un serpent de mer, il remonte régulièrement à la surface”, témoigne Christophe Bottineau, architecte en chef des Monuments historiques.
En 2013, la municipalité de Saint-Denis, à l’époque dirigée par Didier Paillard (PCF), relance l’initiative qui, après douze ans d’études de faisabilité et de commissions budgétaires, se concrétise : la pose de la première pierre va avoir lieu le 14 mars.
Avant d’entamer ce remontage du chef-d’œuvre gothique, il a fallu consolider le monument médiéval pour s’assurer qu’il puisse soutenir les 2 400 tonnes de pierre.
Un musée temporaire et réalité virtuelle
Pour susciter l’intérêt du public vis-à-vis de ce chantier qui va durer cinq ou six ans, un musée temporaire, qui ouvrira en septembre dans le jardin de la basilique, permettra de suivre les coulisses du travail des artisans.
Pour Julien de Saint-Jores, directeur de l’association Suivez la Flèche, ce nouveau parcours de visite se veut dans “l’esprit des chantiers médiévaux, avec cette collaboration entre les tailleurs de pierre et les taillandiers au pied du monument, sous les yeux du public.”
À l’ancienne, mais inscrit dans son temps : l’association, maître d’œuvre du chantier, a conçu ce musée éphémère en y incluant casques de réalité virtuelle et “cube immersif” dans lequel sera projeté un film à 360 degrés, pour plonger dans l’histoire de la basilique.
Un mécénat participatif a également été lancé en avril pour recueillir entre 3,5 et 5 millions d’euros via le parrainage d’une pierre précise, choisie sur la modélisation numérique en 3D de l’édifice.
De l’extraction dans la carrière à sa pose sur le monument, “vous allez suivre un peu une sorte de blockchain (chaîne de blocs, ndlr) de l’histoire de votre pierre,” vante Julien de Saint-Jores.
De 15 à 4 000 euros, les 15 000 pierres que compte la tour sont virtuellement en vente, en sachant que pour les éléments “les plus remarquables”, comme les chimères ou le coq qui trône au sommet, les prix “pourront être supérieurs,” précise-t-il.
L’appel aux âmes charitables est lancé, mais le chantier au budget de 37 millions d’euros est par ailleurs financé par le fonds de solidarité interdépartemental pour l’investissement (22 millions), la région Île-de-France (cinq millions) et la Métropole du Grand Paris (quatre millions).
Loin de concurrencer sa petite sœur Notre-Dame de Paris qui a déjà accueilli 860 000 personnes pour le premier mois de sa réouverture, la basilique de Saint-Denis espère que sa flèche va attirer plus que les 150 000 visiteurs annuels actuellement.
Serge Santos, administrateur de la basilique pour le Centre des monuments nationaux, estime que “c’est l’aspect banlieue, sans doute, qui fait que c’est un petit peu plus compliqué” d’avoir du monde.
Lui qui ne tarit pas d’anecdotes sur les gisants dans l’église veut croire que le village d’artisans et la visite virtuelle de la basilique vont permettre “une nouvelle appropriation du monument, une nouvelle manière de le découvrir.”
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