Logée dans un petit bâtiment couleur crème de l’hôpital Avicenne (AP-HP) de Bobigny, Casita, l’une des trois Maisons de l’Adolescent (MDA) de Seine-Saint-Denis, constitue un précieux refuge, accueillant sans rendez-vous des jeunes de 11 à 21 ans. “Si les troubles s’installent, on rate le coche”, motive le pédopsychiatre Théo Mouhoud, à la tête de la structure.
Sur place, une équipe multidisciplinaire de psychologues, pédiatres, médecins, pédopsychiatre, infirmières, psychomotricienne, éducatrice, assistante sociale, accueillent sans conditions des jeunes en souffrance.
Comme Mona (prénom modifié), âgée de 18 ans, au regard voilé par l’angoisse: “Je n’en peux plus d’être déscolarisée. Je m’isole dans ma chambre, je fume 4-5 joints par jour, je rumine… mon cerveau ne veut jamais s’arrêter“, souffle-t-elle.
Rongée par la culpabilité après avoir abandonné sa première année de médecine au bout d’un mois, elle a été hospitalisée en psychiatrie cet hiver et “va beaucoup mieux”, estime Théo Mouhoud, qui la suit et dirige Casita, “petite maison” en espagnol, fondée en 2004 par la psychiatre Marie-Rose Moro – aujourd’hui à la tête de la maison de Solenn à l’hôpital Cochin à Paris.
Prise en charge à Casita après des tentatives de suicide à 15 ans, Mona y est revenue car “il y avait un lien: c’est le lien qui soigne, c’est extrêmement précieux”, poursuit le médecin. Or “si on laisse passer six mois, les troubles s’installent, on rate le coche”.
“Trop grands pour aller en pédiatrie, trop petits pour aller chez les adultes, les 16-18 ans sont laissés-pour-compte”
Cette Maison des Adolescents (MDA) est une ressource unique en Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre et le plus jeune de l’hexagone -28% des résidents ont moins de 20 ans, où les hôpitaux de la zone ne comptent que 30 lits de pédopsychiatrie et où il faut patienter deux à trois ans pour une prise en charge dans des CMP (Centres médico-psychologiques) engorgés.
On y prend en charge “des souffrances graves nécessitant beaucoup de soins: dépressions, tentatives de suicide, scarifications, troubles anxieux, maltraitances, traumatismes, harcèlements, décrochages scolaires”, énumère Théo Mouhoud.
“On croule sous les demandes, on travaille à plein régime. On est censés gérer les situations de crise, poser un diagnostic avant de réorienter sur un CMP, ou bien faire un suivi inférieur à un an, mais dans un système embolisé, on garde pas mal d’ados jusqu’à l’âge adulte”, dit-il. “Si les CMP étaient renforcés, on pourrait réorienter : la machine fonctionnerait”.
Certains ados au “parcours de vie terrible” sont envoyés par l’Aide sociale à l’enfance ou la Protection judiciaire de la jeunesse. “Trop grands pour aller en pédiatrie, trop petits pour aller chez les adultes, les 16-18 ans sont laissés-pour-compte”, constate-t-il.
Le fléau “massif” des abus sexuels
Beaucoup de jeunes “viennent révéler des abus sexuels : c’est massif, c’est tout le temps”, rapporte le docteur Mouhoud, qui y consacre son doctorat. “On le voit avec les travaux de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) et ceux de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Civiise)”, révélant que 160 000 enfants par an sont victimes de violences sexuelles.
“Pour ma thèse, je lis des témoignages de victimes d’agressions sexuelles dans l’enfance, qui ont parfois 60, 80 ans : elles racontent des vies minées par le trauma, l’angoisse, la dépression, les arrêts de travail. Pour que ces abus créent moins de troubles, il faut un meilleur accompagnement, dans les commissariats, un suivi éducatif, dans le soin”, estime-t-il.
A Casita, les soignants regorgent d’idées pour aider les ados à aller mieux : ciné-débat, jardinage, sorties à la maison de la Culture ou au Louvre, jeux de société, ateliers d’expression corporelle, graff, slam.
“L’art soigne. Et certaines phobies s’expriment, en prenant le métro, qu’on n’aurait pas vues en consultation”, résume la psychologue Gabriela Kucawca.
En France, 123 maisons des Adolescents accompagnent 100 000 jeunes par an. Elles sont indispensables “face à une demande croissante de jeunes en situation de mal-être et aux difficultés d’accès aux professionnels de la santé mentale”, affirmait en mars la Cour des comptes dans un rapport. La Seine-Saint-Denis compte trois MDA. Outre Casita à Bobigny, il y a Casado à Saint-Denis et Amica à Montfermeil.
“Ça fonctionne, grâce à des gens extrêmement motivés et passionnés, mais ça demande des fonds”, souligne le Dr Mouhoud, qui s’est vu refuser un financement de l’Agence régionale de santé (ARS) pour créer une équipe mobile.
“Si on met énormément d’efforts sur l’adolescent, on aura moins d’adultes malades pendant des décennies: c’est facile à comprendre, non ?”
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