Alors que l’urine recèle des nutriments précieux pour l’agriculture, celle-ci pourrait être collectée séparément plutôt que d’alourdir les volumes d’eau à dépolluer. Des expérimentations montrent la voie. Reste à changer d’échelle, pointe une note de l’Institut Paris Région.
Commet réduire la pollution de nos cours d’eau pour y maintenir la biodiversité, s’y baigner l’été et, in fine, protéger nos océans ? La question des eaux usées n’est pas neutre, dans des zones denses comme la région parisienne. En témoigne les conséquences des mauvais branchements chez les particuliers, lorsque leurs eaux usées sont mêlées au circuit d’eaux pluviales, conduisant directement les excréments dans la Marne ou la Seine. De lourds travaux ont ainsi été menés plusieurs années avant les Jeux olympiques de 2024, pour refaire les branchements ou créer des stations de dépollution des eaux pluviales, afin de permettre la baignade.
Les stations de dépollution qui récupèrent l’essentiel des eaux usées, elles, rejettent malgré tout du phosphore et de l’azote dans les cours d’eaux, issus principalement des urines. Un phénomène qui touche particulièrement l’Ile-de-France. “Les rejets résiduels d’azote et de phosphore des eaux usées issues des stations d’épuration franciliennes sont faiblement dilués dans la Seine, dont le débit est trois fois inférieur à celui du Rhône, alors qu’elle accueille, dans l’agglomération parisienne, les rejets d’une population équivalant à dix fois celle de Lyon”, relève la note publiée par l’Institut Paris Région, réalisée par Tanguy Fardet (LEESU, ENPC, Institut polytechnique de Paris, Université Paris-Est Créteil (UPEC)) et Manuel Pruvost-Bouvattier. Or, ces rejets provoquent un déséquilibre, renforcé par le réchauffement climatique, qui peut favoriser certaines espèces invasives ou nuire à d’autres.
Un paradoxe alors que les urines recèlent un fort potentiel nutritif. “En station d’épuration, l’urine représente seulement 1 % du volume des eaux usées mais concentre 80 % de l’azote et 50 % du phosphore de ces eaux usées. Le phosphore est précipité et recyclé à 80 % dans les boues de station d’épuration, dont 60 à 70 % sont épandues dans les champs. La technologie actuelle permet de récupérer jusqu’à 30 % de l’azote des eaux usées au maximum, une autre partie est évaporée, et 25 % à 40 % sont rejetés dans les cours d’eau”, relevait déjà le chercheur Benjamin Beaud en 2023 lors d’un colloque Unesco. Une urine qui non seulement est perdue, mais embarque avec elle, dans les eaux usées, une grande quantité d’eau potable, en moyenne 20 à 30 litres d’eau pour un litre d’urine, indique la note de l’Institut Paris Région. Autant d’eau propre qui se retrouve ainsi polluée et que les stations vont devoir retraiter, imparfaitement.
Récupérer l’urine séparément à la source
Dans ce contexte, une piste, pour valoriser ces nutriments et limiter la quantité d’eau à dépolluer, est de séparer à la source la matière fécale des urines. Un concept validé sur le plan de la santé publique, préviennent les auteurs, rappelant que pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), “la gestion des urines et matières fécales séparées à la source ne présente pas de risque supplémentaire significatif par rapport aux pratiques actuelles.” En ce qui concerne les produits pharmaceutiques par exemple, “des dispositifs de filtration sur charbon actif permettent un abattement beaucoup plus efficace et économe qu’en station d’épuration”, notent les auteurs. Concrètement, le stockage de l’urine brute durant six mois permet de faire disparaitre les pathogènes. Cette urine, ainsi hygiénisée et transformée en lisain, peut alors être utilisée en agriculture.
Un projet concret avec des WC adaptés dans Paris intramuros
D’ores et déjà, plusieurs expérimentations de collecte séparée ont vu le jour, à petite échelle, dans un centre de loisirs, un parc, une association…. Le plus gros projet est à ce jour celui du futur écoquartier Saint Vincent de Paul, près de Denfert Rochereau.
Pas de changement pour les habitants
Ses 600 logements seront équipés de WC dont la cuvette est conçue pour récupérer les urines. Pour l’utilisateur, ce sera la seule différence, cela ne changera rien à ses habitudes. Les urines seront ensuite transformées en engrais utilisé par le centre de production agricole de Rungis, qui produit les végétaux plantés dans les espaces verts de la ville de Paris. Objectif : produire 47 m2 d’engrais par an. Un premier pas qui reste encore modeste en termes de volume.
Cibler les grands ensembles
Pour les auteurs de l’étude, le changement d’échelle passera par l’équipements de grands ensembles. “Les gisements pouvant être collectés sont très majoritairement localisés au sein de ces grands ensembles, les 1 % plus grands bâtiments contenant 20 % du gisement total. Ceux-ci présentent donc de grandes opportunités de collecte, qui permettraient de limiter en proportion les coûts d’investissement tout en fournissant des gisements suffisamment importants pour intéresser des partenaires agricoles en grandes cultures, facilitant ainsi les débouchés de la filière”, développent les auteurs.
Et les territoires critiques sur le plan environnemental
Au-delà des lieux plus propices, il y a aussi ceux où les enjeux sont les plus critiques. “Des zones particulièrement sensibles apparaissent, avec des territoires combinant des masses d’eau de mauvaise qualité, des stations non conformes et des perspectives de développements urbains supplémentaires qui vont accroître la pression sur la ressource. C’est notamment le cas des environs de Roissy et de Marne-la-Vallée, du nord de Melun et des alentours d’Évry”, pointe la note, carte à l’appui.

Inscrire la démarche dans la planification urbaine
Pour avancer, les auteurs suggèrent de s’appuyer sur les plans structurants des collectivités, comme par exemple les PAT (Plan d’alimentation territoriale), et relèvent que le nouveau schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF-E), adopté en 2025, impose désormais de limiter les apports d’azote et de phosphore dans les nouveaux quartiers. De quoi encadrer et stimuler des initiatives de plus grande ampleur.
C’est pourtant simple : il suffit de déféquer dans un système de conduites qui abouti à une station d’épuration, et d’uriner dans une autre système de conduites qui abouti à un réservoir de céréaliers …
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