Depuis le 3 décembre 2024, des agents de l’hôpital gériatrique Émile Roux de Limeil-Brévannes (pôle Henri Mondor de l’AP-HP) sont en grève. Ils dénoncent un manque de personnel qui se répercute sur la prise en charge des patients. Réunis en assemblée générale ce jeudi 16 janvier, ils ont décidé de poursuivre le mouvement.
“Il manque 15 infirmières et 22 aides-soignants”, estime Émilie Vian secrétaire de la CGT et agente de l’hôpital. En deux mois, ce sont 92 fiches d’événement indésirable (FEI) qui ont été remontées des services à la direction par le syndicat. Mises en place pour garantir la sécurité des patients et améliorer la qualité des soins, ces fiches illustrent les difficultés du personnel. “L’AP-HP a des économies à faire vu les 460 millions de dettes qu’elle a, et dès qu’on doit faire des économies, c’est sur le personnel“, déplore Maurice Tarcy, infirmier de nuit et délégué CGT.
Lire aussi : Ile-de-France : l’AP-HP va mieux, sauf sur le plan financier
“L’hôpital a réduit l’appel aux intérimaires et aux vacataires. Le résultat, c’est que le personnel titulaire fixe fait des heures supplémentaires, ce qui induit plus de fatigue et donc des arrêts”, poursuit le soignant.
Exerçant dans l’Unité d’Hébergement Renforcé (UHR : une unité qui héberge des personnes âgées ayant la maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée entraînant d’importants troubles du comportement qui altèrent leur sécurité et leur qualité de vie), Laura Soubiran, infirmière, a comptabilisé 58 heures supplémentaires en août, et se retrouve souvent à travailler seule pour s’occuper des deux unités de quatorze patients, explique-t-elle. Or, “ce sont des patients qui ont besoin d’une attention et de traitements particuliers et qui font preuve d’agressivité pour la plupart. On devrait avoir deux infirmiers et huit aides-soignants pour les deux services et là, on est à une infirmière et à trois aides-soignants le matin et deux, l’après-midi”, témoigne-t-elle, en venant à souhaiter une caméra pour montrer la réalité.
“Il y a des gens qui n’ont des douches qu’une fois par mois”
Linda Lerigab, aide soignante depuis vingt ans à Emile Roux, a vu se dégrader l’Unité cognitivo-comportementale qui stabilise les patients avant de les envoyer à l’UHR. Une unité destinée “au départ à permettre à ces personnes de revenir à leur vie quotidienne”, rappelle-t-elle. “Mais, avec les aînés qui vieillissent, on a des personnes bien plus âgées, avec des démences bien plus lourdes, bien plus que ce que l’on devrait avoir dans notre service”, témoigne-t-elle. Une charge de travail en augmentation malgré une diminution du nombre d’aides soignantes, selon ses calculs. “On est passés de trois à deux durant le service du matin, pour la continuité des soins. On ne peut pas faire le travail pour trois pour seize patients déments.” Les conséquences de ce manque de personnel sont directes pour les patients, poursuit-elle. “Il y a des gens qui n’ont des douches qu’une fois par mois, ce-sont les consignes qu’on a”, témoigne Laura avec tristesse.
Au-delà des heures supplémentaires, le recours à des intérimaires pour des services en tension, et avec des patients qui requièrent une forte attention, inquiète aussi Laura : “Ils n’ont pas de connaissance des patients et de leurs réflexes. Moi, je connais les patients, je sais quand ils vont s’énerver, devenir agressifs.”
L’AP-HP reconnaît trois axes prioritaires de travail
Sollicité par 94 Citoyens, l’AP-HP rappelle que la grève ne concerne que 8% des professionnels de l’hôpital et indique que des échanges ont lieu régulièrement avec les organisations syndicales. “Tous les jours, on a des collègues assignés pour faire entrave à la grève. Pour atteindre l’effectif de sécurité, ils sont obligés d’assigner tous les grévistes”, ironise Maurice Tarcy. Sur le fond, l’AP-HP énonce “trois axes prioritaires : l’amélioration de la prise en compte de la charge de travail, notamment par une révision sur les organisations de travail dans les services, l’augmentation de l’autonomie des équipes dans le choix de leurs horaires, avec l’expérimentation de nouveaux schémas attractifs (…) et le renforcement de la vigilance sur les situations individuelles, pour offrir des aménagements spécifiques lorsque cela est nécessaire.”
De lourds investissements de rénovation
La direction du groupe hospitalier public rappelle aussi que l’hôpital Émile-Roux a entrepris une reconfiguration complète de son offre de soins depuis 2018, pour renforcer les capacités de soins médicaux de réadaptation et de médecine gériatrique, et améliorer les conditions de travail, évoquant notamment une augmentation du nombre de lits disponibles en aval des urgences “avec l’augmentation de la capacité de médecine gériatrique aiguë passant de 34 à 80 lits” et l’ouverture d’un nouveau bâtiment de 240 lits en avril 2024. “Cela représente un investissement global de plus de 50 millions d’euros en faveur des patients et des professionnels”, chiffre l’AP-HP.
Pour David François, secrétaire général USD CGT 94, ces mesures ne répondent pas aux revendications qui sont : la mise en place de questionnaires sur les conditions de travail du personnel et, surtout, le besoin de personnel.
“La gériatrique d’Émile Roux, c’est le dernier choix”
Concernant le recrutement des soignants, les personnels se désolent par ailleurs du peu d’attractivité de l’hôpital gériatrique, dans un contexte de forte concurrence à la sortie de l’école d’infirmiers et infirmières. “La gériatrique d’Émile Roux, c’est le dernier choix. Il y a une concurrence entre nous-même, au sein de l’AP-HP, et entre centres hospitaliers”, pointe Maurice Tarcy.
Alors que la grève aux urgences de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges s’est conclue positivement, les agents espèrent une issue analogue. En attendant, ils ont reçu le soutien de plusieurs élus à l’instar du sénateur communiste Pascal Savoldelli qui a posé une question au gouvernement, et du député insoumis Louis Boyard, venu ce jeudi.
Lire aussi :
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.