La féminisation des rues et espaces publics est en marche dans de nombreuses villes, mais souvent par petites touches. A Bonneuil-sur-Marne, la transition s’est voulue radicale. Alors que la commune ne comptait que 15 noms de femmes pour 80 d’hommes en 2023, elle a fêté le 8 mars 2025 son 95e nom de femme, devenant ainsi la première commune de plus de 10 000 habitants à avoir une majorité d’espaces publics féminins. Comment s’est opérée cette mue ? Dans quel mouvement s’inscrit-elle ? Qu’en pensent les habitants ? Le point.
Le top départ de cette féminisation des espaces publics de la ville a commencé à l’été 2022 par une consultation des habitants, donnant lieu à une liste de 180 noms. S’est ensuivi un groupe de travail mené par l’adjointe aux droits des femmes, Sandra Besnier, qui a réparti les noms en quatre profils : les combattantes, les pionnières, les émancipatrices et les ambassadrices. Des votes ont ensuite départagé les noms, via des collèges d’élèves, de jeunes, de retraités, pour équilibrer les générations. Croisée dans la rue, Lorana ne se souvient pas pour qui elle a voté, mais apprécie. “C’est bien pour les femmes, au moins, on existe quelque part”.
Des noms de toutes générations et toutes origines, combattantes, pionnières, ambassadrices ou émancipatrices
Ce samedi 8 mars, Dulcie September viendra clore la liste. Le nom de la militante anti-apartheid sud-africaine, tuée en 1988 à Paris, s’ancrera dans le quartier Fabien, dans l’ancienne rue Malez. Avant elle, auront précédé Mahsa Amini, l’étudiante kurde iranienne morte en détention en septembre 2022 après avoir été arrêtée pour non-respect du port du voile, mais aussi les résistantes Germaine Tillon, Lucie Aubrac, Geneviève de Gaulle ou Olga Bancic, les femmes de lettre intellectuelles et féministes comme Viriginie Despentes, Andrée Chedid, Françoise Héritier, Georges Sand, Simone de Beauvoir, Mariama Bâ, Colette, Gisèle Halimi, ou encore les sœurs Mirabal ou Anne Frank, des scientifiques comme Mary Jackson ou Marie Curie, la journaliste russe Anna Politkovskaïa, des artistes comme Rosa Bonheur, Isadora Duncan, Nina Simone…
Une révolution qui s’est faite sans reléguer les hommes
Dans la grande majorité des cas, les rues renommées ne portaient pas un nom propre auparavant, oce qui aurait obligé à sacrifier un personnage illustre. Ainsi l’avenue de Paris s’est-elle transformée en avenue Marie-Claude Vaillant-Couturier, l’avenue de Choisy en avenue Simone Veil, la rue des Faux Rois en rue Joséphine Baker… Des voies situées dans des résidences, du Haut Bonneuil par exemple, ont quitté leur numéro pour prendre un nom. Plusieurs chemins sans nom du port de Bonneuil ont aussi trouvé là l’occasion de se trouver un matronyme. L’allée Emile Roux s’est certes transformée en allée Germaine Tillon, mais demeure l’avenue Emile Roux. Concernant les équipements publics, ont été baptisés des aires de jeux, city stades, pistes d’athlétisme et encore des salles faisant partie d’un équipement. De quoi rééquilibrer les noms masculins et féminins sans outrager les mémoires déjà en place.

“Ça fait du bien de voir des noms féminins“
Pour Hicham, père de famille qui habite rue Mariama Bâ (ancienne rue des Varennes), “c’est de bon augure pour les femmes. Rien que le fait de l’énoncer, ce n’est pas que des hommes, ça leur donne un peu de valeur et ça retire un peu tout ce qui est machisme” soutient Hicham en rentrant chez lui avec sa fille.
“Ça fait du bien de voir des noms féminins sur nos jolies routes et nos quartiers quand même, applaudit Stéphanie. Après, j’aurais aimé voir plus de noms de femme black qui ont marqué l’histoire, ajoute la mère de famille, d’origine guadeloupéenne, qui aurait voulu une femme issue des outre-mer. “Mais c’est très bien ! Au moins ça, ça avance”, assure-t-elle dans un grand sourire, surtout contente pour sa fille.
Dans la rue, beaucoup saluent l’initiative, tout en reconnaissant ne pas ou peu connaître les nouveaux noms. A l’instar de Marie, collégienne à Paul Éluard, qui ne connaît “pas du tout” les nouveaux noms mais “trouve que c’est bien car il n’y a pas beaucoup de ville ou il y autant de noms de femmes donc c’est original. Pour leur rendre hommage”.

“Dans le quotidien ça ne change rien”
D’autres ne se sentent pas concernés. “J’habite dans une rue qui n’a pas changé de nom, alors je ne me sens pas concernée. Dans mon quotidien ça ne change rien”, réagit Catherine qui s’occupe de ses petits-enfants dans l’aire de jeu. “Franchement, je ne fais même pas attention. Et si je faisais attention, ça ferait quoi ?” lâche Lhadi, retraité habitant au cœur de la cité jaune. “La priorité pour les gens ,ce n’est pas le changement du nom des rues, mais de bouffer”, explique sans détour Norah, musicienne, en montrant la cité jaune. “Ils sont venus chez ma mère l’autre fois pour lui expliquer, mais ma mère, elle n’en a rien à péter, elle a dit “ça va changer quoi à ma vie que tu changes les rues”, confie-t-elle. “Mais, moi, je trouve cela super !”
Un levier pour faire changer les mentalités
“Il y a pas mal de femmes qui se font klaxonner dans les rues à Bonneuil et qui se font arrêter, ça m’arrive souvent” évoque pour sa part Megane, qui aimerait surtout que les mentalités évoluent. Pour Denis Öztorun, maire (PCF) de Bonneuil-sur-Marne, la féminisation des noms de rue n’est justement pas un but en soi mais un outil pour faire réfléchir, changer le regard, les attitudes. “Toutes ces plaques vont devenir des outils d’éducation populaire et du devoir de mémoire, pour aller à la rencontre des gens”, explique l’édile. Une “université populaire à ciel ouvert”. Car, motive l’élu, “ce n’est pas anodin d’aller parler de résistance avenue Marie-Claude Vaillant-Couturier, de l’Allemagne nazie rue Anne Frank ou encore de l’IVG rue Simone Veil.”
Le processus même de féminisation des rues a été l’occasion d’un moment de sensibilisation de la population et de démocratie participative, avec près d’un millier de personnes qui ont voté pour les noms. “Cela fait deux ans et demi que nous travaillons sur la question de la place des femmes dans la société, de leur invisibilisation, de l’égalité des droits des hommes et des femmes”, ajoute le maire, citant les initiatives régulièrement organisées contre les violences faites aux femmes. “C’est un travail de long terme. Dans tous les centres de loisirs et crèches de la ville, par exemple, nous menons des actions pour casser les codes. Cela se traduit aussi dans notre projet de ville pour 2035.” Y est notamment envisagé de mettre en place un chèque sport pour favoriser l’accès des filles, mener des campagnes de sensibilisation dans les écoles, réserver des logements sociaux pour les femmes victimes de violences, former les associations à ces questions…
Dans la rue, des mobiliers de rue, repeints via des commandes à des street-artistes, participent aussi de la mobilisation contre les violences envers les femmes, comme l’armoire ci-dessous.

Attention au changement d’adresse
Reste à gérer les changements d’adresse. Certains riverains de rues modifiées s’en inquiètent. Pour Martine, qui habite la rue Mahsa Amini, pas de quoi s’inquiéter. On a rien fait pour l’instant, on n’a pas changé la carte grise de la voiture, tout ça. On est allé en RDV médical et on a donné la nouvelle adresse, mais la secrétaire ne trouvait pas, donc on a lui dit l’ancien nom. On s’est dit qu’il fallait laisser passer un peu de temps avant que tout se mette en place.” De son côté, la ville a mis en place un guide pratique “Ma rue change de nom”, dans lequel il est expliqué qu’il n’y a pas besoin de changer ses papiers d’identité ni de se signaler à la Poste pour le courrier. La mise à jour des listes électorales sera aussi faite de manière automatique. Les habitants doivent en revanche changer leur carte grise et signaler leur nouvelle adresse aux impôts, aux caisse de retraite, de sécurité sociale, à Pôle emploi et encore aux fournisseurs d’énergie.
Propos recueillis par Staya Laval, Elio Froidevaux et Cécile Dubois.
Y a t’il une voie “Olympe de Gouge”, la première féministe, députée de la Révolution, qui fut décapitée car elle réclamait la stricte égalité des citoyens et des citoyennes ?
Olympe de Gouges guillotinée, elle et beaucoup d’autres innocent(e)s, pendant la Terreur, alors que Robespierre était au pouvoir.
Il y a non seulement trop peu de rues Olympe de Gouges, mais aussi trop de rues Robespierre. On échange ?
Robespierre nous a donné la devise “Liberté, Égalité, Fraternité”. Ce fut un défenseur du suffrage universel, de la fin de l’esclavage et celle de la colonisation. Se souvenir également qu ‘il tenta d’abolir aussi la peine de mort. C’est encore lui qui a exigé que les français de confession juives soient des citoyens à part entière.
Un peu de contexte historique :
Robespierre était membre du Comité de Salut Public pendant les 2 mois qu’a duré la Terreur pour imposer la République après des décennies où le peuple était réduit à l’esclavage. Mais il n’était pas le seul : Danton, Marat, St Just y siégeaient aussi. Ils étaient 12 en tout. Il faut savoir qu’ils étaient élus par la Convention. La France subissait des menaces d’invasions d’armées étrangères, des complots royalistes, des trahisons internes. Le peuple, les Sans-culottes, ont exigé que la République soit défendue, y compris par des mesures extrêmes. Ce qui a aussi radicalisé le comité de Salut Public. Bref, une conjoncture historique assez complexe et qui ne permet pas de faire porter le chapeau au seul Robespierre des 17 000 guillotinés.
Un siècle plus tard, Adolphe Tiers fera exécuter en une semaine plus de 20 000 personnes pendant la Commune de Paris. Et pourtant, il y a une rue à son nom à Paris. Il y a aussi une place Olympe de Gouges mais aucune rue Robespierre
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.