Partager la mémoire d’un quartier ou d’un village pour créer du lien entre les générations, tel est le but de l’association montreuilloise Passerelle de mémoire. Dans un film de 46 minutes, à voir en ligne, le réalisateur, Pierre Goupillon met en lumière les récits d’habitants des portes du XXème arrondissement de Paris, à la lisière de Montreuil et de Bagnolet.
“Le périph n’existait pas. J’allais tout le temps jouer derrière, où il y a les stades [Porte de Montreuil]. C’était la zone, c’était les 150 mètres, je voyais Montreuil au loin“, relate Patrick Bel Hassen, un habitant du quartier. “On avait les ramoneurs qui venaient. J’avais les petites briquettes, les petits charbons, les petits boulets“, se remémore Nelly Madesclaire.
Pour son dernier film documentaire, Pierre Goupillon s’est installé le long du boulevard Davout dans le 20ème arrondissement de Paris. “On a choisi ce quartier parce qu’il va y avoir un bouleversement paysager, immobilier avec de nouveaux habitants qui vont arriver. On voulait conserver la mémoire de cette porte“, explique-t-il à l’occasion d’une projection au centre Pari Anim Louis Lumière, en référence au réaménagement de la place de la Porte de Montreuil. Depuis 18 ans, cet ancien monteur pour la télévision et le cinéma collecte les témoignages des “anciens”. L’aventure a commencé avec les récits des habitants du quartier de Branly-Boissière, puis de La Noue à Montreuil, avant de se poursuivre dans des petits villages de Normandie et des Bouches-du-Rhône.
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“Les jeunes vivent dans un monde numérique et on a des gens qui ont connu l’époque des chevaux, du chauffage au charbon”
“Les jeunes vivent dans un monde numérique et on a des gens qui ont connu l’époque des chevaux, du chauffage au charbon et qui ne sont pas sur le digital ou très peu. Ces deux ou trois générations ne se rencontrent presque pas ou n’ont pas grand-chose à se dire. Quand vous parlez d’un boulet de charbon, on est dans le médiéval pour les jeunes. Passerelle se sert du territoire pour transmettre cette histoire“, résume Pierre Goupillon.

Le documentaire fait ainsi revivre l’époque du lavoir, du poinçonneur, du ramoneur, des marchands de quatre saisons. Celle aussi du facteur qui fait sa tournée avec 30 000 francs de retraites dans les sacoches, et encore des ouvreuses du cinéma Davout qui deviendra un célèbre studio d’enregistrement. Un monde où “il n’y avait pas de salle de bain, pas d’eau chaude. Pour se laver, c’était la cuvette“, relate Maryse Dagonia. “On faisait les escaliers à la paille de fer, pas comme maintenant“, rappelle, quant à elle, Danièle Potier, qui a été gardienne boulevard Davout pendant onze ans. “Mais tout était plus convivial“, confie-t-elle. “On est dans le partage d’une mémoire populaire, pas des sachants“, défend Pierre Goupillon.
Au total, 25 habitants ont accepté le jeu des questions-réponses. À travers leur récit, ils racontent aussi l’évolution urbaine, avec la construction du périphérique, l’arrivée du PC (le bus qui reliait la petite ceinture) puis du tram, et le changement de population. “Quand je suis arrivée en 1974, nous étions sept personnes noires. Aujourd’hui j’en croise une multitude“, constate Viviane Raymond dans un éclat de rire. Plus sévère, Abdessatar Bedhiafi remarque : “le système a voulu que ce soit que des Arabes et des Noirs ici. Il n’y a pas de haine maintenant, mais avant on parlait de tout. Et, tout d’un coup, pardon pour le mot, on s’est retrouvés parqués.”
Des jeunes du quartier ont été formés à l’écoute active pour recueillir la mémoire des habitants
Pour réaliser le film, Passerelle de mémoires a installé son “Lab des territoires”, une caravane qui se transforme en studio d’enregistrement, durant trois semaines, en avril 2024, à trois emplacements : rue Blanchard, rue Mendelssohn et Porte de Montreuil. “Il y a eu un gros travail de préparation en amont, avec l’antenne locale de la ville, l’office HLM Paris Habitat et les associations Soleil Blaise et l’UNRPA [Union nationale retraités et personnes âgées de Paris]. On a aussi formé des jeunes du quartier à poser des questions et à l’écoute active“, précise Pierre Goupillon. Parmi eux, Kemya et Christ, que l’on aperçoit interviewer des habitants.

Le maintien du lien intergénérationnel constitue, de fait, la raison d’être de l’association. “On a choisi ce média documentaire, mais ça aurait pu être un livre. Il s’agit avant tout d’un dispositif social de rencontres, pour raconter l’histoire des quartiers. On essaye de faire de l’ouverture à l’autre. Les anciens parlent de camaraderie, mais ça s’appelle aussi la fraternité”, conclut Pierre Goupillon qui envisage désormais un film sur les Morillons à Montreuil. Le quartier est appelé, lui aussi, à profondément changer avec le programme de renouvellement urbain et l’arrivée du tramway T1.
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