Huit mois après la condamnation définitive de l’entreprise Urbaine de travaux (groupe Fayat) par la justice, les parents de Jeremy Wasson et son frère jumeau se sont retrouvés ce lundi au tribunal de Nanterre. L’élève ingénieur de 21 avait fait une chute mortelle du toit terrasse d’un chantier du RER E, à Pantin, dans le cadre d’un stage. Un accident mortel résultant de manquements graves à la sécurité que le groupe de BTP a fini par reconnaître, faisant subitement volte-face.
“C’est un cauchemar qui ne finit pas. On ne fait pas le deuil d’un enfant, on ne le fait jamais“, lâche Valérie Wasson, à la barre de la chambre B du pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre. À ses côtés, son mari, Frédéric, tient une photo-portrait en format A3 de leur fils, Jérémy Wasson. Élève de première année à l’ESTP (École spéciale des travaux publics), il avait fait une chute après avoir soulevé une trémie mal protégée du haut du toit-terrasse de ce qui deviendra le centre de commandement unique du RER Eole à Pantin. C’était le 28 mai 2020, trois jours après avoir commencé un stage de découverte sur un chantier.
L’entreprise ne conteste plus la faute inexcusable
Cinq ans après, les parents de Jérémy Wasson n’en peuvent plus d’une procédure judiciaire qui s’éternise. “C’est destructeur“, confie son père, Frédéric. En septembre 2024, la cour d’appel de Paris avait confirmé la condamnation d’Urbaine de Travaux et de l’ingénieur responsable du chantier prononcée en première instance, deux ans plus tôt, par le tribunal judiciaire de Bobigny. En tant que personne morale, la première a été condamnée à 200 000 euros plus 20 000 euros par faute, à savoir l’absence de sécurisation de la trémie, qui était simplement recouverte d’une planche en bois non fixée, et l’absence de formation de Jérémy Wasson. La seconde a écopé de 12 mois avec sursis ainsi qu’une amende de 10 000 euros. L’entreprise décidera finalement de ne pas se pourvoir en cassation.
Reste désormais la procédure intentée en mars 2023 pour faire reconnaître la “faute inexcusable de l’entreprise”. Comme la défense avait fait appel du jugement en première instance, le tribunal judiciaire de Nanterre avait sursis à statuer. Mais ce lundi, l’entreprise a changé de discours. Me Patrice d’Herbomez, l’avocat d’Urbaine de Travaux, a signifié au juge que l’entreprise ne contestait plus la faute inexcusable. Un changement de pied qui semble n’être intervenu que quelques heures seulement avant l’audience.
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Devant le juge et ses deux assesseurs, Me Juliette Pappo, l’avocate de la famille Wasson, enchaîne le rappel accablant des manquements de l’entreprise. “Lorsqu’il est arrivé sur ce chantier le 26 mai 2020, Jeremy Wasson n’a pas été accueilli correctement, il n’a pas du tout été formé. On lui a demandé de faire le nettoyage sur le toit terrasse. Aucun tuteur n’était là. Il va soulever une trémie qui n’était pas protégée et il va chuter“, énonce-t-elle, “Urbaine de travaux appartient au groupe Fayat qui est une énorme société du BTP. On n’est pas dans des dossiers de petites sociétés qui sont jugés devant vous“, précise l’avocate, avant de lire un témoignage du psychiatre de Valérie Wasson. “Chacun sait que perdre un enfant est un drame, mais lorsque la mort de la personne est la conséquence directe de la négligence d’un tiers, donc évitable, le drame est absolu. Valérie Wasson survit dans un monde qui pour elle n’a plus aucun sens“, écrit-il.
“En France, en 2025, mourir au travail ne doit pas être une fatalité”
Sa plaidoirie vise à étayer ses demandes d’indemnisation pour le préjudice infligé aux parents de Jérémy Wasson qui ont refusé la “conciliation minimaliste de l’entreprise“. “Dans les conclusions de l’avocat d’Urbaine de Travaux, il est toujours proposé 35 000 euros pour le préjudice moral des parents. Ils trouvent cette somme complètement insuffisante“, assène l’avocate, en référence à l’amende de l’État qui était de plus de 200 000 euros. “On connaît la jurisprudence pour la perte d’un enfant, mais dans ce dossier, vu la taille de l’entreprise et vu la gravité des manquements constatés, on estime que c’est très insuffisant“, poursuit-elle, tout en soulignant que cette somme “ne pourra combler la douleur des parents“. Elle sollicite 100 000 euros. Me Pappo requiert aussi 125 000 euros pour Valérie Wasson et 30 000 euros pour Frédéric Wasson au titre du préjudice économique. Jérémy étant stagiaire au moment des faits, aucune rente n’est versée aux ayants droits (ses ascendants au regard de la Sécurité sociale), alors que, argumente-t-elle, ni sa mère, ni son père n’ont pu reprendre leurs activités professionnelles. “C’est important pour que, dans ces dossiers-là, les sociétés de la taille d’Urbaine de Travaux, prennent conscience qu’en France, en 2025, mourir au travail ne doit pas être une fatalité. C’est parce que les tribunaux vont être très sévères et vont faire mal au portefeuille que, peut-être, ils prendront en considération les règles de sécurité élémentaires, notamment dans le BTP“, plaide l’avocate. Elle demande aussi des indemnités pour le préjudice économique et moral subi par la grand-mère de Jérémy qui “a complètement perdu pied et a dû être placée dans un Ehpad“, ainsi que 12 000 euros correspondant aux frais d’école de l’ESTP.
“Notre colère s’est transformée en croisade“
Autorisée, cette fois, à s’exprimer par le tribunal, les parents de Jérémy Wasson, ont voulu aller plus loin que la simple lecture pécuniaire de leur recours. “On parle d’indemnités aujourd’hui, mais aucune indemnité ne vaudra jamais, ce que valait mon fils dans mon cœur. Mais, elle peut être aussi une injure cette indemnité parce que le groupe Fayat gagne 25 000 euros par heure en bénéfice net. Alors ça vaut quoi la vie de mon fils ? Si je suis ici pour témoigner, c’est que j’attends que votre jugement soit dans la lignée de la cour d’appel, c’est-à-dire exemplairement dissuasif. Je ne veux plus qu’il y ait des mamans comme moi, effondrée, parce qu’on ne peut pas vivre derrière. On survit seulement. Ça ne s’arrêtera jamais“, déclare Valérie Wasson. “Notre colère s’est transformée en croisade. Depuis la mort de Jérémy, le 30 mai 2020, il y a eu probablement plus de 4 000 morts au travail en France, le plus mauvais élève en Europe. Nous sommes persuadés qu’une raison objective de cette situation, est l’indigence des sanctions envers les entreprises. En parallèle, les délais insupportables de la justice, avec lesquels jouent les avocats en reportant ou renvoyant les procédures, épuisent les familles qui parfois abandonnent par résignation. Mourir au travail n’est pas une fatalité. Il ne faut pas que Jérémy soit mort pour rien“, abonde Frédéric Wasson.
Délibération attendue le 5 juin
De son côté, Me Patrice d’Herbomez, qui défend la société Urbaine de Travaux, a maintenu l’offre d’indemnisation pour le préjudice moral de 35 000 euros “qui est bien au-delà du référentiel de la jurisprudence” et “qui prend en compte précisément la douleur [de ses parents], même si aucun montant n’aura d’impact sur l’atténuation de la douleur“. Par ailleurs, l’entreprise accepte de compléter les frais d’obsèques, dont elle avait déjà versé une partie, à hauteur d’environ 6 000 euros. En revanche, il a réfuté le principe même du préjudice économique et s’en est tenu à la position de la CPAM (la caisse primaire d’assurance maladie, chargée de l’indemnisation des victimes) pour estimer le préjudice moral de la grand-mère. Une CPAM que Frédéric Wasson n’a pas non plus épargnée. Elle “s’en tient à un barème historique de l’ordre de 20 % du montant des amendes perçues par l’État, avec une absence totale de discernement sur les circonstances du drame sur les impacts vécus qu’ils soient de santé ,d’activité professionnelle ou autres pour la famille. Bref, leurs conclusions sont insupportables à lire“, pointe-t-il. La CPAM a par ailleurs rejeté la responsabilité d’un tiers qu’a fait valoir l’Urbaine deTravaux en produisant un document de la caisse régionale de l’Assurance Maladie Ile-de-France (Cramif). “Dans le cadre d’une faute inexcusable, la responsabilité du tiers ne joue absolument pas. C’est pourquoi la CPAM demande à ce que soit prononcée l’action récursoire“, a demandé son conseil.
Pour la famille Wasson, le bras de fer judiciaire continue. Avant la décision du pole social de Nanterre le 5 juin prochain, une autre procédure est en cours au tribunal d’Evry pour la reconnaissance des préjudices subis par les frères, notamment son jumeau, ainsi que par sa tante.
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