Société | Ile-de-France | 03/12
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Paris-Aubervilliers : départ de la BNP d’un quartier miné par le crack

Paris-Aubervilliers : départ de la BNP d’un quartier miné par le crack © Google Earth

Dans le froid du petit matin, les lueurs orangées des pipes à crack sous le périphérique précèdent l’arrivée des salariés du quartier du Millénaire, entre Paris et Aubervilliers. Une cohabitation pesante, toile de fond du départ de la BNP, laissant redouter “un quartier fantôme”.

Peu avant 07H00, gare RER Rosa-Parks, dans le 19e arrondissement, les voyageurs pressés filent droit vers le boulevard Macdonald, passant sans un regard devant les vendeurs de cigarettes à la sauvette déjà postés à la sortie.

La direction de BNP Paribas a confirmé le projet de départ progressif de ses équipes à partir de mars 2026, qui sera présenté aux instances représentatives. Si le groupe invoque “une rationalisation immobilière”, la réalité du terrain a lourdement pesé.

“La banque rencontre des difficultés à pourvoir les postes sur le secteur, les salariés sont réticents à venir y travailler, notamment à cause des questions de sécurité qui se posent”, explique Julie Lequeux, déléguée syndicale CFDT à la BNP, précisant que le départ concerne “quatre bâtiments et 4 000 salariés”.

Salariés escortés

Pour gérer la situation d’ici le déménagement, la banque a mis en place un dispositif quasi-militaire mutualisé avec des entreprises et institutions du quartier. Dès la sortie du RER et du métro Corentin-Cariou, des agents de sécurité privée très visibles, tout de noir vêtus, talkie-walkie à la main, patrouillent par deux.

“C’est rassurant de les voir dès la sortie, même si personnellement je n’ai jamais eu de problèmes”, glisse une jeune employée, un gobelet de thé à la main.

Le soir, le dispositif se renforce avec vingt vigiles mobilisés pour escorter les salariés au RER toutes les 30 minutes.

Ce cordon sanitaire tranche avec la réalité crue qui se joue quelques mètres plus bas, Quai du Lot.

Sous les piliers du périphérique, une cinquantaine de consommateurs de crack s’abritent du vent glacial au milieu de détritus, de tapis mouillés et de vélos cassés.

Juste en face de ce campement de fortune, les fenêtres d’une crèche municipale donnent directement sur la scène. Au-dessus du pont, sur le boulevard, c’est une école primaire.

“C’est compliqué, c’est usant, mais on continue”, soupire un agent de l’école, croisé devant la grille, sous couvert d’anonymat: “Une maman s’est fait cracher dessus à deux reprises”.

“Consensus inavouable”

À cent mètres, la “forêt linéaire”, censée offrir un poumon vert le long du périphérique, est devenue “une zone à éviter”, déplore un policier. Il dépeint une promenade désormais lieu de “vente de crack et de prostitution”.

La préfecture de police défend pourtant une “activité très soutenue” dans le quartier.

Durant la seule année 2025, près de 400 personnes ont été interpellés dans le secteur, “dont 90 pour trafic ou détention de crack, 48 pour trafic ou détention d’autres matières stupéfiantes”.

Pour les élus locaux, le départ de la BNP marque un échec politique.

François Dagnaud, maire (PS) du 19e arrondissement, dénonce une situation figée par l’État.

“Il y a effectivement un consensus inavouable… qui fait peser sur les habitants de ce quartier une pression insupportable”, analyse l’édile, qui pointe un système de “cantonnement” tacite pour éviter la dispersion des toxicomanes dans le reste de la capitale.

De l’autre côté du canal, la maire (UDI) d’Aubervilliers, Karine Franclet, décrit une lutte inégale sur cette zone frontière.

“Quand vous vous trouvez à la frontière, il n’y a pas le même traitement des deux côtés. Une ville n’a pas à payer les conséquences de ses voisins”, martèle l’élue, déplorant que sa commune serve de réceptacle des maux parisiens.

Autour du boulevard Macdonald, l’annonce du départ des “cols blancs” porte un coup dur aux commerçants.

Raquel, 40 ans, sert cafés et croissants derrière son comptoir. Elle vient d’offrir un expresso à Hamidou, le vigile en chasuble jaune fluo qui sécurise la rue avec Jack son berger allemand.

“Les fumeurs de crack demandent de l’argent aux clients, gentiment la plupart du temps”, raconte la commerçante. “Mais parfois, il peut y avoir des accès de violence soudains. Une fois, l’un d’eux a cassé la petite vitrine devant la caisse”.

Hamidou, qui croise “une cinquantaine de toxicomanes” chaque nuit durant ses rondes, confirme que la cohabitation devient difficile.

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