Rescapé des tirs à la Kalachnikov qui ont tué son frère et son ami un soir d’été 2019 à Stains, Dembo T. a admis au procès lundi que les faits ressemblaient à “une exécution”, mais balayé l’hypothèse du narchomicide, invoquant une “guerre des clans” entre ex-amis d’enfance.
Béquille à la main, Dembo T., 31 ans, se présente comme témoin et victime devant la cour d’assises de Seine-Saint-Denis.
S’asseyant sur la chaise qu’on lui avance, il va parler des heures et des heures en ayant juste derrière lui, à moins d’un mètre – littéralement dans son dos – les hommes qu’il désigne comme des meurtriers.
Ils sont six, âgés de 29 à 33 ans, à être jugés depuis mercredi, dont cinq comparaissant libres.
Dembo T. avait 24 ans, la nuit du 15 au 16 juillet 2019, quand il a été blessé au mollet par les rafales d’AK-47 tirées par un homme à l’arrière d’un scooter sur la Twingo où il se trouvait depuis quelques heures, dans le quartier du Clos-Saint-Lazare, en bas de chez lui.
Son “meilleur ami” Soriba succombe au volant, puis il voit son grand-frère, Bakari, s’extirper du véhicule pour s’écrouler dans le hall de leur immeuble.
– “Avec une arme de guerre, on arrive, on tire, on repart, puis les véhicules seront brûlés… Ca fait exécution, non?”, souligne le président de la cour, Franck Zientara.
– “Oui, c’est ça”, admet la victime.
Mais quand le juge suggère d’éventuels mobiles – “trafic de stupéfiants, de voitures, d’armes?”, “guerre de territoires” évoquée par des policiers? – il répond: “Du tout, du tout! Il n’y avait pas de territoires. C’était tout le monde contre ma famille.”
“Jambisation” dès 2012
“Nous avions beaucoup d’ennemis. La liste était longue”, admet-il depuis le tout début de l’enquête, tout en rejetant l’hypothèse du narchomicide.
Dès 2012, son frère avait été victime d’une tentative de meurtre, des tirs dans les jambes par des hommes cagoulés (une “jambisation” dans le milieu des trafiquants).
Il soutient qu’un des hommes aujourd’hui sur le banc des accusés, Valentin D. S., et le frère de ce dernier, s’étaient vantés dans la cité d’être impliqués. Mais il prétend ne pas savoir ce qui motivait cette attaque.
Selon son récit, le soir même des nouveaux faits sanglants de 2019, son frère et lui avaient justement un rendez-vous pour réclamer – “exiger, oui, mais en -mode diplomates-“ – le remboursement de 6 500 euros dépensés en 2012 en frais d’hospitalisation de Bakari. Et ce rendez-vous, dit-il, aurait “tout déréglé”…
S’il n’a pas vu le visage des tueurs, il croit pouvoir attribuer des rôles à chacun, et fait des déductions – ce que la défense balaie comme “des extrapolations”, nourrie de rumeurs après coup. Un de ses propres cousins figure parmi les accusés, auquel il reproche d’avoir “fricoté avec les ennemis”, “ceux qui tenaient la cité”.
Le tireur serait, selon lui, un autre des accusés, Souleymane C., homme à la carrure d’armoire à glace que le quartier surnomme “foetus”. Un mois avant les faits, une bagarre l’avait opposé à cet ex-ami d’enfance qu’il admet avoir ensuite “humilié” dans une vidéo ironique sur Snapshat.
Cette bagarre, sans armes, “je la trouve banale”, lui rétorque l’avocat de cet accusé, Me Yann le Bras. Mais Dembo T. insiste sur le “regard menaçant” que lui a lancé Souleymane C. en passant justement devant la Twingo peu avant l’attaque à l’AK-47.
– Les accusés, “vous les désignez tous, ils contestent tous. Vous vous présentez comme les mal aimés de la cité, eux se présentent comme ayant très peur de vous…”, remarque l’avocate générale.
– “Ce n’est pas vrai du tout”, répond la victime, qui préfère souligner, en réponse à son avocat Me Moad Nefati, qu’il n’a “aucun intérêt à accuser à tort” des gens de sa ville.
“Je ne sais pas ce que ça fait de se faire tirer dessus et même de ne pas savoir qui vous a tiré dessus”, lui lance Me Joseph Hazan, avocat d’un autre accusé, suggérant que les faits de 2012 ont pu entraîner chez lui “une paranoïa”.
– J’appelle ça de la prudence”, répond le rescapé, qui ne va plus “au Clos”.
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