Economie circulaire | Seine-Saint-Denis | 31/10
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Reconditionner PC et téléphones en chantier d’insertion : le défi des Valoristes à Saint-Ouen

Reconditionner PC et téléphones en chantier d’insertion : le défi des Valoristes à Saint-Ouen © CH

Selon un diagnostic réalisé par l’association Wetechcare pour l’intercommunalité Plaine Commune, des dizaines de milliers de personnes ont besoin d’un ordinateur ou d’un téléphone portable sur ce territoire et presqu’autant d’équipements de ce type y sont inutilisés. Pour éviter le gâchis, l’association Les Valoristes a créé un atelier de reconditionnement en chantier d’insertion dans le cadre de la filière réemploi du territoire. Reportage.

Pour trouver le Lab des Valoristes, il faut monter au 1er étage de l'”École de la transition écologique et solidaire à Saint-Ouen”. L’atelier de reconditionnement informatique y est installé dans une des salles de classe de l’ancienne maternelle de la rue Bachelet, reconvertie en ressourcerie.

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Guidé par Szimon Piotrowsky, Mehdi, Marwen et Nathalie démonte pour la première fois des ordinateurs portables.

Les entreprises réfléchissent de plus en plus au remploi quand elles ont besoin de renouveler leur matériel

À l’entrée, des armoires remplies d’ordinateurs portables. Les quatre salariés en insertion viennent de réceptionner un nouveau don : des câbles, des écrans et une vingtaine d’ordinateurs. Au total, 101 kg de matériel à tester et éventuellement réparer pour les revendre à prix solidaire. “Les entreprises réfléchissent de plus en plus au remploi quand elles ont besoin de renouveler leur matériel, parce que jeter à la poubelle est un gâchis d’argent. Pour des ordinateurs, tout l’enjeu, ce sont les informations contenues dans les disques durs. Nous, on teste, on reconditionne, et on se charge de l’écrasement de ces données en délivrant un certificat qui prouve qu’elles ne peuvent plus être récupérées“, explique Szimon Piotrowsky, 26 ans, embauché depuis deux semaines comme encadrant de l’équipe du Lab. “Il faut que l’on ait une traçabilité de bout en bout de la chaine puisque l’on a un impact, à la fois sur la seconde vie de l’équipement, sur l’environnement, et sur le parcours d’insertion de nos salariés“, complète Vincent Miquel, le directeur du Lab des Valoristes.

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Du bois à l’informatique

Créée 2021 par Ngoc-Lan Loi, l’association Les Valoristes a démarré comme chantier d’insertion sur le réemploi du bois, à Montreuil puis à Pantin, où elle compte aujourd’hui 10 salariés en insertion, avant de se diversifier dans le reconditionnement informatique. “À l’origine, je portais un projet sur les déchets électriques du quotidien, comme une cafetière, et surtout sur la mise en place de campagnes de collecte. J’ai commencé par animer des ateliers de sensibilisation dans les écoles, relate Vincent Miquel. C’est à Montreuil que j’ai rencontré Ngoc-Lan Loi qui avait été accompagnée comme moi par l’antenne de Pulse [un incubateur d’entreprises à impact social et environnemental].”

En 2023, l’appel à projet économie sociale et solidaire (ESS) lancé par Plaine Commune sert de tremplin. L’intercommunalité initie alors, avec Emmaüs Connect le développement d’une micro-filière de réemploi informatique à l’échelle du territoire. En avril 2024, les Valoristes sont lauréats de cet appel à projet avec une association audonienne, la Régie de quartier de Saint-Ouen. La subvention de 15 000 euros sert à financer le premier salarié. “J’ai rejoint les Valoristes en octobre 2023 pour lancer cette filière de reconditionnement local, mais je suis resté bénévole jusqu’à ce que le projet soit viable“, précise le directeur du Lab, Vincent Miquel.

Depuis septembre, les synergies au sein du territoire se sont structurées avec la signature d’une convention entre Plaine Commune Promotion, le réseau d’entreprises de l’intercommunalité (à la fois demandeuses et pourvoyeuses de matériel), et le collectif “Plaine Collect” constitué d’Emmaüs Connect, Les Valoristes et Geodeal (une autre ESS spécialisée dans le reconditionnement informatique, basée à Bondy). “L’objectif de ce partenariat est de répondre à un besoin des personnes dépourvues d’équipement informatique, qui sont donc en grande difficulté pour accomplir des démarches administratives ou s’insérer dans la vie professionnelle“, souligne Noémie Pniak, cheffe de projet de la Collectech Ile-de-France. Cette plateforme solidaire lancée par Emmaüs Connect organise la collecte de dons de matériel usagé des entreprises qui est ensuite revendu à des prix adaptés à des personnes en situation de précarité à travers son réseau de relais numériques, notamment à Saint-Denis, mais aussi à La Villette à Paris ou dans l’Essonne.

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Depuis un an et demi, on a pu collecter environ 3 200 équipements avec un taux de réemploi de 70%

Les ordinateurs, tablettes et smartphones reconditionnés par les Valoristes sont issus pour l’instant en grande majorité de dons d’entreprises, et en très grande majorité du partenariat noué avec Emmaüs Connect. “Depuis un an et demi, on a pu collecter environ 3 200 équipements avec un taux de réemploi de 70%“, indique Vincent Miquel. À charge pour l’association, via la Régie de quartier de Saint-Ouen, de collecter le matériel, puis de le traiter. C’est le travail d’Alexis, 26 ans, Christian, 43 ans, tous deux habitants de Saint-Ouen, de Nathalie, 61 ans, qui vient du Pré-Saint-Gervais, et de Zanghir, 30 ans, Montreuillois. “On traite actuellement un lot de 180 PC portables HP. On fait un audit sur chaque ordinateur pour identifier les éventuels problèmes. Pour cela, on utilise un logiciel qui nous permet de les reformater et de tester tous les composants essentiels : écran, clavier, son, caméra, touchpad, wifi, micro. Ensuite, en fonction du résultat, ils peuvent soit être prêts à la revente, soit à être réparés ou testés manuellement, par exemple quand la batterie est à moins de 70%. Si une touche ne fonctionne pas, il faudra le démonter“, explique Alexis. C’est le cas de 32 ordinateurs du lot.

Démonter un ordi : “un travail qui demande beaucoup de concentration

Autour de la table de démontage : Nathalie, Mehdi, un salarié de la Régie de quartier de Saint-Ouen qui s’est porté volontaire pour passer une semaine en immersion, et Marwan, un lycéen stagiaire de Saint-Denis qui prépare un bac professionnel Ciel (Cybersécurité, informatique et réseaux, électronique). C’est la première fois qu’ils démontent un ordinateur. Ils sont guidés par Szimon Piotrowsky, qui a appris en autodidacte. “C’est un travail qui demande beaucoup de concentration. Sur ce modèle, le changement de clavier est très difficile parce qu’il est directement soudé au châssis. Il faut donc tout démonter, écran inclus, changer le châssis, et le remonter. On est comme dans un vrai atelier“, commente ce “geek”, ravi de poursuivre une fonction de “chargé de projet” mais dans une structure de l’ESS.

Pour continuer à faire tourner la structure dans son format actuel, il faudrait que l’on traite 200 ordinateurs par mois

Pour Vincent Miquel, l’objectif des Valoristes est non seulement de s’impliquer dans la transition écologique mais aussi l’accompagnement social. “On a un bon groupe et tout le monde se sent bien, mais il ne faut perdre de vue que se sont des salariés en insertion qui ne peuvent rester chez nous que 24 mois. Il faut donc les challenger pour les aider à s’orienter vers un emploi ou revenir à la formation“, observe-t-il. Comme dans le cas de Lassana ou de Zanghir qui suit des cours de français chaque mardi, ces contrats, d’une durée de 28 heures par semaine, sont adaptés à ces parcours .

Autre enjeu plus immédiat : la pérennisation de l’activité. “On a reçu cette année un gros don du Crédit coopératif de 1 500 ordinateurs portables, ce qui nous donne du travail jusqu’en mars prochain. C’est une échéance un peu stressante. Je prospecte donc déjà pour la suite, parce que les dons sont très aléatoires selon le moment. Pour continuer à faire tourner la structure dans son format actuel, il faudrait que l’on traite 200 ordinateurs par mois, sur la base du modèle économique de notre partenariat avec Emmaüs Connect. D’autres débouchés pourraient renforcer plus grande stabilité, comme la vente en direct, qui nous permet de doubler nos marges tout en maintenant des petits prix. Pour aller plus loin, on devrait tendre à répondre aux commandes de marchés publics“, énonce Vincent Miquel qui avant de mettre en place le Lab des Valoristes, a été artiste numérique, puis “par nécessité économique”, développeur. “Comme beaucoup de gens, j’ai traversé cette crise du sens. Il a fallu que je prépare ce moment où j’allais pivoter pour mettre de côté tout ce monde start up et revenir à un cadre de travail dans lequel je me sens plus à l’aise“.

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