Peintures, affiches, autocollants, drapeaux, bleus de travail, chasubles syndicales, gilets jaunes… Le Musée de l’Histoire vivante de Montreuil a choisi d’utiliser la couleur comme fil conducteur de son exposition sur l’histoire des luttes sociales. À voir jusqu’au 31 juillet 2026. Visite.
“Couleurs, histoire du travail et des luttes” : le thème de la nouvelle exposition du Musée de l’Histoire vivante de Montreuil, propose un parcours ludique et graphique, facilité pour les plus jeunes par une signalétique simplifiée, en parallèle des textes explicatifs signés par des experts des sciences sociales. Parmi eux, Jérémie Brucker, spécialiste du vêtement professionnel, Emmanuel Bellanger, historien des banlieues parisiennes, Maxime Boidy, enseignant-chercheur en études visuelles ou encore Mathilde Larrère, autrice de recherches sur le maintien de l’ordre et la citoyenneté au 19ème siècle ou encore Frédérik Genevée, docteur en histoire, président de l’association de l’histoire vivante à l’origine du musée et ancien responsable des archives du Parti communiste français.

Deux siècles du mouvement ouvrier, syndicaliste et social
Pas de parcours imposé, mais une première salle centrale consacrée au drapeau tricolore. “Si l’on doit raconter le drapeau rouge, on est obligé de raconter celle du bleu, blanc, rouge“, explique Thomas Le Goff, le directeur du Musée de l’Histoire vivante. Une reproduction d’un tableau de Felix Henri Philippoteaux dépeint, justement, le moment où Lamartine rejette le drapeau rouge pour mettre en avant le drapeau tricolore en 1848.
Au-delà, c’est bien l’histoire des luttes sociales que documente l’exposition, comme le rappelle d’emblée une œuvre oubliée et restaurée par le musée, “Hommage à Daumier” (1947), de Boris Taslitzky, un des artistes majeurs du courant du réalisme socialiste en France. De la plus grande salle consacrée au rouge, couleur par excellence de la révolte, à l’espace consacré aux “Gueules noires” des mineurs (en partenariat avec le Centre historique minier de Lewarde), ce sont près de deux siècles du mouvement ouvrier, syndicaliste et social qui défilent à travers des affiches, des tableaux, des gravures et autres objets : vêtements de travail, drapeaux ou gilets syndicaux.
Le noir de l’anarchisme, le syndicalisme jaune (pro-patronal), les gilets jaunes… L’exposition retrace l’évolution des expressions graphiques, jusqu’à l’explosion de couleurs portée par le mouvement des droits des personnes homosexuelles : le rose avant le drapeau arc-en-ciel de la cause LGBTQIA+, mais aussi le violet féministe.

Caisse de grève, gilets jaunes, soutien-gorge des Lejaby
Œuvres ou objets provenant des collections du Musée de l’histoire vivante, prêts et reproductions, revisitent implicitement les temps forts des luttes sociales. A voir : la révolte des Canuts de 1831 racontée par la reproduction d’un drapeau noir en soie, la “une” du Monde illustré avec Louise Michel brandissant le drapeau noir lors de la manifestation des sans-travail du 9 mars en 1883 qui lui vaudra d’être arrêtée et emprisonnée. Et encore, encore la manifestation pacifiste du 25 mai 1913 au Pré-Saint-Gervais contre la “loi des trois ans” qui rallonge la durée du service militaire. Un détail, dans cette aquarelle de Gustave Prunier qui dépeint le paysage industriel de la Butte rouge, prend sur le vif l’un des derniers discours publics de Jean Jaurès avec son cortège de répétiteurs.
Au programme encore, une caisse de grève de la CGT récupérée lors de l’occupation de la Cité de l’immigration par des salariés sans papiers en octobre 2010. Ou encore le costume cousu à partir de gilets jaunes par Arthur Gillet, témoignage du mouvement contestataire des années 2018-2020.

Dans ce cheminement, les découvertes insolites ne manquent pas, comme une reproduction du dessin d’un étendard icarien arc-en-ciel, interprétation de l’utopie communiste en 1848 d’Étienne Cabet. Le soutien-gorge bleu, blanc, rouge cousu par des salariés des ateliers Lejaby d’Yssingeaux raconte quant à lui, “une autre histoire celle de la souveraineté industrielle et de la sauvegarde de l’emploi“, observe Thomas Le Goff.
À l’inverse, une illustration de 1935 du Témoin, périodique satirique anticommuniste, met en avant l’opposition entre des banlieues rouges et un Paris bleu. L’exposition est aussi ponctuée d’œuvres ou objets d’autres pays, “pour montrer le caractère international et internationaliste du mouvement ouvrier“, insiste Thomas Le Goff. Le musée lui-même fait partie d’un réseau international des musées du travail.
Ici, une reproduction du manuscrit du Red Flag, l’hymne du Labour Party britannique, celle de la “une” d’un journal japonais anarchiste portant le nom de “drapeau noir”, ou encore une risographie d’Hélène Aldeguer sur le thème des femmes en lutte à Barcelone. L’artiste sera d’ailleurs accueillie en résidence dans le musée.
Programmée pour une durée de deux ans, l’exposition “Couleurs, histoire du travail et des luttes” a vocation à évoluer avec l’introduction du blanc pour raconter le mouvement des Blouses blanches, mais aussi les blanchisseuses, et de nouveaux sujets comme les Bonnets rouges (mouvement de protestation apparu en Bretagne en octobre 2013).

“C’était un musée d’éducation des masses des banlieues rouges, avant de devenir un musée d’histoire sociale, ouvrière et populaire“
Se situer entre engagement social et discours scientifique, telle est la ligne de crête du Musée de l’Histoire vivante, qui reste associatif, affirmée par Thomas Le Goff, son directeur. “Les musées ont compris que, dans les temps actuels, il fallait s’engager un peu plus. Ça ne veut pas dire que l’on va mettre du militantisme dans notre façon de présenter l’histoire, mais que l’on peut porter des valeurs tout en proposant un discours scientifique que l’on va essayer de montrer un maximum“, explique-t-il. Depuis 2023, le musée a ainsi adhéré au réseau des musées engagés créés à l’initiative du musée national de l’Immigration. En partenariat avec celui-ci, il ouvre d’ailleurs au 1er étage une exposition autour d’une sélection d’affiches militantes et syndicales (1968-2000) sur les luttes pour les droits des travailleurs immigrés.
Ce positionnement politique, l’institution le doit dès l’origine au militantisme de ses créateurs : trois élus montreuillois (Jacques Duclos, Fernand Soupé et Daniel Renoult) qui installent l’association pour l’histoire vivante dans l’ancienne demeure de Théophile Sueur, un industriel local spécialisé dans le commerce du cuir et des peaux, et maire de Montreuil entre 1866 et 1876. Rachetée aux derniers descendants par la ville en 1935, la maison bourgeoise est transformée en musée dans la foulée. “On est alors dans la dynamique du Front populaire, mais aussi d’une concurrence avec le musée de Saint-Denis [connu pour sa collection d’archives sur la Commune de Paris], et du musée Carnavalet à Paris. Les premières collections du musée vont se structurer sur l’histoire des révolutions, des révoltés“, relate Véronique Fau-Vincenti, responsable des collections. L’ouverture, en mars 1939, sera toutefois de courte durée : le pacte germano-soviétique entraine la fermeture du musée marqué PCF. Les collections sont cachées dans une ferme en Seine-et-Marne. Il faudra attendre 1946 pour qu’elles soient réinstallées. “Le champ historique s’élargit alors à la Résistance. C’est une histoire de France depuis la Révolution française qui est proposée, mais via le prisme de la lecture marxiste et communiste de l’histoire“, poursuit-elle. “C’était un musée d’éducation des masses des banlieues rouges, avant de devenir un musée d’histoire sociale, ouvrière et populaire“, souligne Thomas Le Goff. Le virage scientifique intervient dans les années 1980, avec une direction qui se professionnalise. D’abord “musée contrôlé”, il devient “musée de France” avec la loi de 2002. L’éducation populaire reste toutefois au cœur de ses activités, en accueillant de nombreux scolaires tout au long de l’année et organisant des activités hors-les-murs.

Constitué pour beaucoup à partir de dons, le fonds du Musée de l’Histoire vivante comprend aussi des archives sur la Révolution française, Napoléon, les révolutions de 1830, 1848, la Commune de Paris, et le mouvement militant de 1880 à 1910. Il recèle des objets étonnants comme un couteau gravé de Goya de 1808, le masque mortuaire de Napoléon ou les sabots de Lucien Sampaix, journaliste communiste français fusillé par les Nazis. “Nos collections sont un peu protéiformes, ce qui fait que l’identité du musée n’est toujours pas très affirmée. Son nom n’est pas non plus forcément toujours facile à comprendre. Quand j’étais responsable des publics, beaucoup d’enseignants croyaient que c’était un musée d’histoire naturelle. Nous cherchons donc aujourd’hui à préciser le projet scientifique et culturel du musée, et à réaffirmer son identité, tout en préservant son caractère de lieu de mémoire des banlieues rouges“, précise Thomas Le Goff.
Voilà un musée qui ne risque pas de se voir voler ses bijoux, son or ou ses porcelaines. Par contre, attention aux dégradations. Par les temps qui courent, le social est souvent en butte à des étranglements financiers, voire policiers.
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.