Société | Seine-Saint-Denis | 16/09
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Seine-Saint-Denis : l’exploitation des mineures prostituées en hausse, les condamnations aussi

Seine-Saint-Denis : l’exploitation des mineures prostituées en hausse, les condamnations aussi © Luisella Planeta

Avocats et magistrats s’alarment d’une “explosion” des signalements d’adolescentes en situation de prostitution en Seine-Saint-Denis, département le plus touché par une exploitation sexuelle des mineures en pleine croissance en France, où les condamnations de proxénètes se multiplient.

Au tribunal de Bobigny, le deuxième de France après Paris, 61 personnes ont été jugées pour proxénétisme sur mineurs l’an dernier, soit cinq fois plus qu’en 2019. Et depuis janvier, on y constate une inflation des audiences.

Une jeune fille “a pleuré de soulagement” après avoir remporté une première victoire judiciaire, en juin, face à l’homme qui l’avait prostituée et violée en 2021, quand elle avait 17 ans et lui 23, relate Inès Davau, son avocate. Dans l’attente d’un procès en appel, très fragilisée, la victime laisse son avocate parler pour elle. Me Davau salue le “courage de cette jeune fille qui a tenu sur ce parcours judiciaire de plus de quatre ans, malgré les menaces” pour qu’elle retire sa plainte. L’adolescente était en fugue, en provenance d’une autre région, quand elle a été approchée via les réseaux sociaux. Comme souvent, elle avait auparavant été victime, très jeune, de violences sexuelles.

L’accusé, un récidiviste, a été condamné à 10 ans de réclusion et est allé en prison directement, à l’issue du procès à huis clos. Dans sa décision, la cour criminelle départementale évoque “une forme de manipulation” de la victime lorsque le proxénète s’était “aperçu qu’elle était amoureuse de lui” – illustration du phénomène du “loverboy”, pseudo petit ami plus âgé qui séduit avec l’objectif d’amener à la prostitution.

15 000 à 20 000 victimes mineures en France

En France, les associations estiment à au moins 15 000 voire plus de 20 000 le nombre de mineurs, essentiellement des jeunes filles, en situation de prostitution. L’an dernier, police et gendarmerie ont enregistré 435 victimes mineures de proxénétisme (+14% par rapport à 2021) et 224 victimes d’un achat d’actes sexuels (+107%).

La moitié des victimes de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle est composée de “jeunes Françaises exploitées dans le cadre de petits réseaux ancrés localement”, estime l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) dans une note de mai, évoquant un décuplement du nombre d’affaires de “proxénétisme de proximité” (de 21 en 2015 à 226 en 2024).

Dès 11 ans

“Ce fléau touche particulièrement” la Seine-Saint-Denis, “tristement attractive pour les prix bas des logements, la précarité de la population et une densité urbaine qui facilite cette délinquance”, analyse le procureur de Bobigny, Eric Mathais. Dans ce département le plus pauvre de France métropolitaine, le tribunal constate aussi une “réorganisation de réseaux de trafic de stupéfiants vers la prostitution”.

Soulignant la “constante augmentation” des signalements relatifs à des mineurs en situation de prostitution (95 en 2019, 121 en 2024), M. Mathais avertit que le proxénétisme risque d’y devenir “un contentieux de masse”. Et le chef du parquet souligne auprès de l’AFP que les victimes entrent dans la prostitution de plus en plus jeunes – 14 ans en moyenne – et sont “de plus en plus souvent originaires des quatre coins de France”.

“On parle d’enfants exploitées à 11-12 ans, c’est de plus en plus fréquent”, confirme la présidente de l’association Equipes d’action contre le proxénétisme, Lucile Rozanes. “Ce sont essentiellement des petites filles nées en France, quel que soit leur milieu d’origine”.

Un procès devant les assises des mineurs à Bobigny l’a particulièrement marquée en mars. La victime avait 12 ans au début des faits. “Vous auriez vu ses photos: elle était frêle, le visage poupin, c’est impossible que les clients n’aient pas vu que c’était une toute petite fille”. “Fâchée avec sa maman pour un truc bête”, l’enfant avait fugué. Puis une jeune fille plus âgée, rencontrée sur un réseau social, l’a prostituée, relate Mme Rozanes.

Alcoolisées ou droguées

Les quatre souteneurs étaient âgés de 16 à 18 ans. Selon la cour, la proxénète de 17 ans – “marquée par les carences parentales” et “violences extrêmement graves” infligées par un frère – était déscolarisée et en couple avec un proxénète de 16 ans. Elle a été condamnée à cinq ans d’emprisonnement, dont 21 mois avec sursis.

“Dès le deuxième jour de sa fugue, l’enfant avait été exploitée sexuellement par vingt clients. Sous protoxyde d’azote (NDLR: apprécié pour ses effets euphorisants), à peine nourrie, elle dormait dans la voiture. Mais elle était sous une emprise terrible disant (des souteneurs) -mais eux ils m’aiment, ce sont mes amis-“, rapporte Mme Rozanes.

Me Clarisse Carounanidy, qui a représenté de nombreuses victimes, se dit frappée par “la violence verbale, physique et chimique auxquelles les petites sont soumises – alcool ou protoxyde d’azote leur étant fournis pour que, sidérées, elles enfilent les actes”.

Certaines n’ont pas la force d’assister aux audiences, souligne sa consoeur Me Manuela Lalot, car “quand elle vient, une victime n’a pas (seulement) rendez-vous avec le tribunal mais avec son proxénète, son violeur, parfois la jeune fille qui l’a recrutée, mais aussi ses démons, ses traumatismes”.

Procès après procès, l’avocate constate que “la notion de liberté a été vidée de son sens avec le -je fais ce que je veux de mon corps- de jeunes filles qui ne comprennent pas ce que cela implique”.

Elle prône vivement la prévention dans les collèges et lycées et la diffusion de messages gouvernementaux.


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