Dans l’habitacle de son véhicule avec une bonne radio allumée, on se sent protégé. Mais dans un tunnel, la situation peut virer au cauchemar en quelques secondes en cas d’accident et de départ de feu. Pour éviter des tragédies comme celle du tunnel du Mont-Blanc, les aménagements ont été revus et des exerces préventifs se tiennent régulièrement. Ce fut le cas cette nuit du 12 ou 13 mai dans le tunnel de Nogent-sur-Marne. L’occasion de comprendre le fonctionnement d’une intervention de secours. Reportage.
60 000 véhicules par jour dans chaque sens, tel est le trafic du tunnel de l’A86 au niveau du pont de Nogent-sur-Marne vers Champigny. Un axe essentiel surveillé comme du lait sur le feu. Des caméras permettent de visualiser en permanence l’ensemble du passage, reliées au au Poste de commandement (PC) des Ratraits, le long de l’A4, à Champigny-sur-Marne, opéré conjointement par les CRS (Compagnies républicaines de sécurité) et la Direction régionale des routes d’Ile-de-France (Dirif), exploitante du tunnel.

Auto-évacuation
Pour évacuer, le tunnel est équipé de sorties de secours tous les 200 mètres de manière à ce que les passagers ne soient jamais à plus de 100 mètres d’une évacuation. Sur les parois, de grosses flèches indiquent la direction à prendre pour trouver l’issue la plus proche. Dès le double-sas franchi, on est hors d’atteinte des fumées. Reste à remonter les plusieurs volées de marches pour regagner l’air libre. Objectif: permettre une auto-évacuation la plus rapide possible.

Pour prévenir les secours, des téléphones sont installés à chaque issue de secours, reliés directement au PC où “les opérateurs ont un système de vidéosurveillance qui leur permet de confirmer la localisation de l’incident, du foyer, et de faire partir les engins de pompiers au bon endroit”, explique l’adjudant Vincent Joly, chef de la caserne de Nogent (15e compagnie de la Brigade des sapeurs pompiers de Paris – BSPP), qui couvre aussi le secteur de Bry-sur-Marne, Le Perreux-sur-Marne, Fontenay-sous-Bois et Joinville-le-Pont. Beaucoup d’automobilistes appellent aussi spontanément via leur portable, ce qui implique une étape supplémentaire pour localiser précisément le lieu du sinistre, car l’appel est alors transmis au central des pompiers.

Scénario incendie
“Dans ce tunnel de Nogent, il y a eu quatre feux depuis 2019, indique Pierre-Baptiste Delpuech, chef du service trafic tunnels à la Direction des routes d’Ile-de-France. Mais, dans le vocabulaire Dirif, nous avons le ‘scénario incendie’ lors duquel il n’y a pas forcément de feu. Notre opérateur ne prend aucun risque avec l’usager. S’il voit une fumée, même sans flammes, une fumée, il déclenche le scénario incendie.” Dès ce scénario incendie déclenché, cela implique la fermeture du tunnel, le renforcement d’éclairage, l’évacuation et le désenfumage. Un désenfumage qui s’effectue automatiquement depuis le tunnel, grâce à une infrastructure appropriée. “Ce scénario incendie, rien que dans le tunnel de Nogent, il est arrivé 6 fois en 2023”, chiffre Pierre-Baptiste Delpuech. “Il y a une semaine, par exemple, une personne a appelé depuis une borne d’appel du tunnel pour signaler un feu, mais celui-ci se trouvait en réalité à l’extérieur du tunnel. Une fois arrivés sur place, nous avons donc redirigé les engins et rapidement remis en fonctionnement le tunnel”, témoigne le directeur de la caserne.

Carambolage
Peu après minuit ce lundi 12 mai, l’opération démarre. Un vrai petit carambolage a été simulé, avec cinq véhicules légers et un poids-lourd, “car on a un trafic poids-lourds particulièrement dynamique en région parisienne, notamment sur l’A86”, motive Emmanuel Dupuis, directeur de cabinet du préfet, à l’initiative de l’exercice et directeur des opérations. L’autre crainte est celle de l’embrasement d’un véhicule électrique, une situation qui n’est heureusement, pas encore arrivée dans un tunnel.
Rapidement, plusieurs plusieurs personnes sortent de leur voiture pour se précipiter vers les issues, prévenir les secours et évacuer. L’un simule en revanche un malaise, restant à terre à côté de son véhicule, d’autres sont coincés dans leur véhicule. La sirène retentit et de la vraie fumée froide, déclenchée par un petit brasero, commence à se diffuser pour mettre dans l’ambiance.

Dans le brouillard
Dans ce scénario, le désenfumage est en panne au niveau de l’accident, histoire de corser l’expérience. Pour les pompiers, la fumée est un facteur de complication extrêmement important, mais qu’ils connaissent bien. “Si le dispositif de désenfumage, de ventilation, ne fonctionne pas, on est dans le noir total. On ne voit pas notre main à 10 cm”, insiste Vincent Joly. D’où l’équipement en caméras infrarouge.

Avec 30 kg de matériel sur le dos, deux premiers pompiers s’engagent, commencent à déployer une lance à incendie pour la relier à un point d’eau en surpression déjà en place au niveau d’une niche de sécurité. Pour se repérer plus facilement, les équipes disposent d’un triptyque d’établissements répertoriés, un plan détaillé du tunnel, disponible dans tous les camions qui opèrent dans le secteur.

Une autre équipe reste en retrait par sécurité. A peine les premiers commencent-ils à s’avancer vers le brasier, ils réalisent qu’il y a encore des personnes sur place. L’ordre des priorités change.
Les vies humaines d’abord
“Là, on passe de l’objectif d’éteindre le feu à se dire non, il faut d’abord sauver des gens”, expose le lieutenant-colonel Nicolas Belain, chef de bataillon des Pompiers de Paris, qui supervise 13 casernes. La hiérarchie des priorités est claire. “La priorité, ce sont les vies humaines à sauver. Tant qu’il y a des personnes à aller chercher, on va les chercher.”

D’autres équipes sont alors engagées, pour éteindre, car la première est “consommée”, pour porter secours. En plus de leurs 30kg de matériel, les sauveteurs embarquent la première victime puis passent le relais à l’équipe qui était restée en sécurité, avant de revenir en chercher une autre. Rapidement, leurs bouteilles d’oxygène vont se vider, car l’effort est très physique, ils devront alors être remplacés.

Coordination
En situation réelle, une situation de ce type aurait mobilisé plus de 70 pompiers, avec plusieurs niveaux d’intervention, avec par exemple trois engins qui interviennent en premier lieu, puis des composantes exploration longue durée, un véhicule de secours aux victimes, un module avec un robot extincteur, un poste médical avancé…. C’est aussi toute une chaîne de commandement qui s’organise, pour faciliter la montée en échelle. Celui qui a commandé le premier détachement va ainsi transmettre les informations à son chef qui va prendre en charge les opérations au global pour lui permettre de se concentrer sur son premier périmètre d’intervention. “Visuellement, cette passation de consignes n’est pas spectaculaire à voir mais elle est primordiale pour la montée en puissance de l’intervention”, insiste Nicolas Belain à propos de ce poste de commandement tactique.

La coordination n’implique pas que les pompiers, mais aussi le Samu du Val-de-Marne qui travaille avec la chaîne médicale des Pompiers de paris pour prendre en charge les blessés. A l’extérieur du tunnel, un poste se met en place pour les prendre en charge et organiser les évacuations. La Croix Rouge est également venue en renfort lors de l’exercice. La ville est aussi impliquée, pour mettre à disposition un lieu si nécessaire, comme un gymnase, pour accueillir les personnes qui ont évacué leur véhicule et se retrouvent désorientées, à une sortie de tunnel. Lors de l’exercice, le maire de Nogent, Jacques J-P Martin, est du reste venu en personne observer les opérations. La police nationale est également de la partie, pour sécuriser les abords, aidée de la police municipale. De son côté, la Dirif, exploitante du tunnel, est présente via le poste de commandement opéré avec les CRS, en lien direct avec les équipes sur place. La préfecture, elle, est responsable, en tant que représentant de l’Etat. “C’est le préfet, qui donne l’autorisation d’exploitation de ces tunnels tous les six ans, et doit donc garantir que, dans cet espace de six ans, un nombre d’exercices minimal est effectué, soit sur table, soit soit en grandeur réelle comme cette nuit, détaille Emmanuel Dupuis. Cela s’ajoute aux nombreux sous-exercices, service par service, et à ceux des sapeurs pompiers.”

Cette nuit, l’exercice, qui simulait un carambolage entre un camion et cinq véhicules, a simulé une implication de 20 personnes à prendre en charge : 5 blessés en urgence absolue à évacuer immédiatement, 5 urgences relatives et 10 personnes simplement incommodées par les fumées. En principe, les premiers pompiers arrivent dans les dix minutes. Lors de l’exercice, cela a pris un peu plus de temps, car toutes les unités ne peuvent être mobilisées avec le même niveau de priorité pour un exercice. Mais toutes les victimes virtuelles ont été prises en charge.
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