Culture | Seine-Saint-Denis | 12/03
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“Tous ces musiciens qui ont des choses à dire sur le monde d’aujourd’hui et d’hier seront là” Le festival Banlieues Bleues démarre en Seine-Saint-Denis

“Tous ces musiciens qui ont des choses à dire sur le monde d’aujourd’hui et d’hier seront là”  Le festival Banlieues Bleues démarre en Seine-Saint-Denis

Du Jazz au rap en passant par des musiques défiant toute catégorisation, le festival Banlieues Bleues continue de programmer des artistes à la pointe de leurs arts avec comme seule maxime : La musique comme échappatoire à la douleur. Violence des phrasés, des rythmes, (dé)harmonies, réhabilitation d’héritages, voix et productions enivrantes… La 42e édition du festival promet de belles surprises venues de toute part du globe.

“Music can make the pain fade” (“la musique fait disparaître la douleur”) déclare le photographe ghanéen Derrick Ofosu Boateng, auteur de l’affiche. Trois enfants les poings levé vers un ciel sanglant, dont un avec une trompette, comme pour symboliser l’espoir d’une résistance (ou d’une révolte) par la musique. Une photo pleine de symbole similaire à celle de l’album a beautiful révolution du rappeur chicagoans Common. Xavier Lemettre, directeur du festival, l’annonce : les artistes présents cette année “ne sont plus des grandes stars comme par le passé, mais ce sont des artistes qui créent de nouvelles formes et qui font avancer la musique”. Il et elles “ne font peut-être pas disparaître la douleur, mais l’apaisent un peu, et nous donnent à réfléchir” pour “nous élever dans un monde qui vire à la dystopie” que cela soit grâce au jazz, au rap, ou aux expérimentations inclassables. 

Un concert d’ouverture gratuit à P8 

Comme l’an dernier, la “fac hip-hop”, l’Université Paris 8 Saint-Denis accueillera la soirée d’ouverture ce vendredi 14 mars (à partir de 18h30). Au programme du jazz libre avec une performance inédite de Joy Guildy artiste queer à la frontière du gospel et du jazz libre, et أحمد[Ahmed], quatuor européen qui réinvente les compostions du contrebassiste américain Ahmed Abdul-Malik qui puisait ses inspirations en Afrique de l’Est. L’ex-rappeur palestinien maintenant producteur électronique Muqata’a sera aussi présent ainsi que le rappeur étasunien Mike Ladd qui performera en avant-première son prochain album Tea-Party on Train Tracks

© Joy Guidry © Nykelle Devivo

Le Rap à l’honneur, 34 ans après la baston entre NTM et IAM  

En tant qu’organisateur, ça fait peur, mais en tant que spectateur, c’était fascinant, dans le sens où, le rap, c’est une musique de révolte et de revendication” 34 ans séparent cette 42e édition de celle qui a connue la – devenue mythique – “altercation” entre NTM et IAM, pourtant Xavier Lemettre s’en rappelle comme si c’était hier. A l’origine, des scènes installées dans des chapiteaux à Saint-Denis, à l’heure où le rap connaissait ses premières scènes en France : “on se disait qu’il fallait faire le rap, on fait toutes les musiques noires et faisons une grande soirée rap ! C’était la première grande soirée rap en France”. Malgré “l’effet de douche froide dans la presse”, le festival Banlieues Bleues continue chaque année de proposer des artistes hip/hop, bien qu’aujourd’hui, ce sont souvent des artistes hors des radars des grands médias culturels. La rappeuse du 93 Casey sera au rendez-vous avec le projet et groupe ExpéKa. Hybridant Rap et Gwoka (musique traditionnelle des Antilles, et particulièrement de la Guadeloupe) ExpéKa incarne l’héritage culturello-musical issue de l’esclavage et de la colonisation aux Antilles autour de la plume corrosive de Casey, des tambouriens et de la flûte de la Guadeloupéenne Célia Wa (21 mars au Pavillon, Romainville).

© EXPEKA © Anaïs C.

Celle qui a déclaré “Contre la décadence urbaine et morale ; l’amour, la joie et la foi sont des ancres de survie qui peuvent et doivent être maniées en conscience“, Lex Amor, sera aussi de la partie avec son rap londonien introspectif aux influences jazz et uk garage (le 28 mars, à la Dynamo de Pantin). Autre gros nom : Angry Blackmen. Le duo étasunien qui sublime la colère de leurs condition dans le pays de l’oncle Sam sera présent le 11 avril à l’Embarcadère (Aubervilliers) avec leur rap industriel aux mots et rythmique hachurés et cru prenant à contre-pied l’industrie musicale. 

Jazz et musiques créatrices 

Malgré la présence de beaucoup d’autres sons, le jazz musique originellement “populaire et d’émancipation” reste “l’ADN de Banlieues Bleues” soutient le directeur. Cécile McLorin Salvant (franco-américaine) avec ses 3 Grammy Award semble être la tête d’affiche avec sa voix envoûtante, voire enivrante. En 2023, elle revient avec Mélusine, un album où elle tisse une musique aux multiples influences. Mêlant français et créole haïtien, elle y déploie une approche poético-narrative proche des contes (20 Mars, Espace Paul-Eluard à Stains). Du côté du jazz instrumental, le groupe Blackflower vient défendre son dernier album, Kinetic. Pensé comme “un appel à danser à travers le chaos de la vie et une exploration audacieuse de la libération par le mouvement”, le groupe belge s’est appuyé sur des fondements ethio-jazz (jazz éthiopien qui se différencie du jazz étasunien entre autres par un côté plus hypnotique, spirituel voir psychédélique) et des rythmique “afro-funk”. On pourra aussi retrouver le groupe britannique Nubiyan Twist au jazz groovie (3 Avril à L’Espace 93 à Clichy-sous-Bois) ou encore le portugais Rafael Torale qui, avec son projet Spectral Evolution composé reclue dans la campagne sans réseaux, est “le dix de l’année pour beaucoup de gens” à “l’univers extra-atmosphérique”, soutient le directeur du festival (7 avril à la Dynamo). Enfin, l’Haïtien, Jowee Omicil réhabilitera le jazz haïtien, ses ancêtres et la cérémonie du Bwa Kayiman (cérémonie qui a initié la révolution en Haïti) en performant son album SpiriTuaL HeaLinG : Bwa KaYimaN FreeDoM SuiTe

À l’instar de Jowee Omicil, certains artistes revendiquent leurs héritages culturels pour continuer à innover, et cela, sans passer par le jazz. C’est par exemple le cas d’El Basta, groupe originaire de Mostaganem (Algérie), qui réhabilite le Raï (déjà complet) ou d’Aïta Mon Amour qui se réinscrivent dans la tradition des “aïta”, une sorte de blues rural originaire du Maroc et transmit depuis le 12e siècle par des chanteuses féministes en lutte contre les violences domestiques et coloniales, en y incorporant des résonances électroniques (4 avril à l’Odéon, Tremblay-en-France). “Les invisibles aux yeux du monde” (“Na bado”, Ekoya), Jupiter & Okwess seront aussi de la partie. Originaire de la République Démocratique du Congo, Jupiter, que l’on surnom le “Général rebelle” pour sa sapologie et ses paroles, s’est attelé à recueillir l’univers sonore des 450 ethnies qui composent son pays (alors même que les conflits inter-ethnique perdurent entre diverses ethnies) autour d’un son aux rythmique congolaises, funk, soul. Un message d’espoir qui, depuis sa première apparition à Banlieues Bleues en 2012, a réussi à sortir “du ghetto” pour s’installer au devant de la scène à l’internationale.

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Ancrage local et meilleur public d’Île-de-France ? 

“La jeunesse ici est à fond et est chaude quand ils voient des gens sérieux, ils foncent quoi” glisse avec sourire Xavier Lemettre. Entre “5 000 et 10 000 personnes”, issues des centres sociaux, d’écoles, de maisons de quartier entre autres, sont touchées par des actions culturelles organisées par le festival chaque année, soutient le directeur. Que ce soit à travers des olympiades culturelles, des sensibilisations à la musique, de la création ou encore des concerts rencontres où les équipes se déplacent à la rencontre du public. Avec premier partenaire le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, Banlieues Bleues est aussi un acteur local. Un ancrage local donc qui permet d’avoir une forte diversité au niveau du public. Avec “40 % de nouveau public chaque année” majoritairement du 93 et “une majorité féminine, alors que le public de jazz, normalement, est très masculin” poursuit le directeur. “Je trouve que le public de Banlieues Bleues, c’est le meilleur public. C’est un public très mélangé, pas toujours facile, à l’image du département, très vivant” soutient-il avec un grand sourire. 

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