Environ 60 000 en Île-de-France, les Brésiliens de région parisienne forment une communauté disparate, davantage mue par la connexion culturelle avec la France que par des motifs économiques. Ce qui ne l’empêche pas de souvent connaître les mêmes difficultés que les autres immigrés. De Montreuil à Nanterre, rencontres.
“Je viens de là-bas, Je viens de là bas…” Ce samedi soir, les accords de samba de Dona Ivone Lara résonnent dans la brasserie Croix de Chavaux, à Montreuil. Alignés sur scène, Léo, Caio, Felipe, Timbó et les autres instrumentistes essayent de faire oublier le froid extérieur au public. Le concert fait partie des nombreux rendez-vous que se donne les 60 000 Brésiliens de région parisienne. Hormis la capitale, c’est surtout la ville séquano-dionysienne qui accueille une profusion d’événements en lien avec le Brésil. Aux commandes de bon nombre d’entre eux, Léo di Mola, natif de Rio arrivé en France il y a vingt ans, et Montreuillois depuis quatorze. Avec son groupe Gravata Florida, il investit régulièrement les bars de la ville, comme Le Balto ou Chez Pape, dans le quartier de Robespierre, pour y jouer les rythmes qui font danser le Brésil.
Depuis quelques années, les musiciens organisent même leur propre festival, “É Proibido Cochilar !” (Interdit de dormir !), mélange de concerts, cours de danse et projection de films, qui se tient sur une journée de 14h à 5h du matin, tous les étés. Après une première édition tenue en 2021 dans le squat Eif du quartier des murs à pêches, l’événement est désormais accueilli par le théâtre de la Girandole, non loin.
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Pourquoi une telle offre culturelle brésilienne s’est-elle installée à Montreuil en particulier ? “Je pense que c’est une coïncidence entre le fait que la ville est réputée pour attirer les artistes et le fait que j’y habite !”, rigole modestement Léo di Mola, les dreadlocks retenues par son bonnet noir.
Des liens culturels forts
Le petit succès du groupe peut aussi s’expliquer par la forte connexion culturelle entre les deux pays. “Paris a une culture du spectacle et du cabaret qui a beaucoup influencé les musiciens brésiliens. Un bon exemple de ça, c’est le mot “Boêmia”, qui désigne le monde de la nuit, et qui est directement puisé de la “bohème” française. Il y a même eu une reprise de la chanson d’Aznavour en portugais !”, déroule Renato Nogueira, croisé dans le public. “Des artistes comme Piaf et Brassens sont très admirés au Brésil […]. Ils ont une manière d’exprimer une souffrance qui fait qu’on ne peut pas rester indifférents. Et les Français aussi ont reconnu ça dans la musique brésilienne” continue-t-il, passionné.
En témoigne d’ailleurs la majorité de Français venus assister à la roda. À la question de Léo qui demande, pour chauffer la salle, en portugais : “Il y a des Brésiliens ici ?”, seule une petite demi-douzaine de mains se lèvent. Selon le Ministère des Affaires Étrangères, on compte environ 90 000 Brésiliens en France, dont 60 000 en région parisienne – bien loin des 390 000 enregistrés au Portugal, premier choix des Brésiliens venus en Europe. Les rares données disponibles sur la communauté des Brésiliens de France décrivent une diaspora souvent issue d’une certaine élite. Les raisons du départ sont davantage à chercher du côté des connexions culturelles, amoureuses – ou les deux en même temps.
Là où Filipe est d’abord venu pour donner des cours de cavaquinho, petite guitare ressemblant au ukulélé, avant de s’installer “de fil en aiguille”, Timbó, reconnaissable entre mille avec son iroquois de cheveux crépus est d’abord venu “par amour”, avant de développer en parallèle son activité de danseur et de musicien.
Connexions politiques
Autre moteur de l’immigration brésilienne : le militantisme politique, hérité des exils forcés des années de la dictature militaire (1964-1985). En témoignent les membres de l’association Option Brésil, qui s’efforcent de faire le lien entre les deux pays en publiant un bulletin mensuel en français, signalant les divers événements de la diaspora et résumant l’actualité brésilienne. Le tout avec un parti pris en faveur du président Lula. Lors des élections présidentielles de 2022, les Brésiliens de France métropolitaine ont voté à près de 83% en sa faveur.
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Pour Rute Brandão, grande partisane du président, l’association permet aussi de se faire le relais des revendications des émigrés. “Ils envoient de l’argent au pays, mais ne reçoivent rien en retour. Ce n’est pas comme les Français qui ont un réseau d’écoles françaises partout dans le monde, par exemple” explique-t-elle, les yeux encadrés derrière de grandes montures. Leur ambition : essayer d’obtenir une représentation politique pour les 4,5 millions de Brésiliens de l’étranger au Congrès de Brasília.
Là encore, ce sont les connexions intellectuelles qui expliquent l’attachement de ces Brésiliens à la France. Véronique Ballot, cinéaste franco-brésilienne, elle aussi impliquée dans l’association, évoque les valeurs de Mai 68 : “Les idéaux philosophiques, intellectuels [de cette période], ont beaucoup résonné parmi la jeunesse qui voulait changer le Brésil”. Pour Rute aussi, la France représente une certaine “avant-garde politique”. Même si les scores du Rassemblement National aux élections européennes et législative de juin et juillet dernier ont un peu douché ces attentes. “Ça a été un choc, car la France est considérée comme un modèle politique. Pour la qualité de ses politiques publiques, pour sa diversité culturelle”, liste Véronique Ballot. “C’est le pays de Jean Jaurès !”, renchérit Rute.
Mal du pays et sentiment immigré
Ces puissants liens ne parviennent toutefois pas toujours à effacer une certaine saudade (“nostalgie”) du pays d’origine. Arrivé en France à 13 ans, Renato Nogueira, confie ne “jamais [s’être] senti à sa place en France”, malgré y avoir passé plus de la moitié de sa vie. “Beaucoup de Français me considèrent toujours comme davantage Brésilien que Français. Ils m’exotisent beaucoup, me parlent de samba et de foot, y compris des gens qui me connaissent depuis longtemps”, raconte-t-il dans un français parfait, teinté d’un accent quasi insoupçonnable.
Un mal-être alimenté par les échecs répétés lors de l’obtention de la nationalité française. “Quand j’ai eu 18 ans, j’ai eu le droit de demander la nationalité. Mais à 16 ans, j’avais eu un rappel à la loi pour possession de cannabis et graffitis, alors Ils m’ont dit d’attendre deux ans de plus. Mais, ma demande a été rejetée à nouveau car je n’étais pas autonome financièrement. Depuis, je n’ai pas réessayé car je travaille en tant qu’indépendant”. Désormais âgé de 27 ans, cet artiste-tatoueur-illustrateur n’a toujours pas abandonné l’idée. “Ça fait plus de la moitié de ma vie que je suis en France, et j’estime que c’est mon droit. C’est une culture que je connais par cœur”.
Dans ce climat de crispation autour des questions d’immigration, certains Brésiliens, comme Ethelvina Ferreira, 26 ans, pensent parfois subir un traitement inégal. “J’ai dû faire plus de 200 candidatures avant de trouver une alternance. J’ai postulé à 10 universités, et seule une m’a prise. C’est peut-être comme ça pour tout le monde, mais en tant qu’immigrée, ça renforce le sentiment de discrimination”, raconte cette étudiante en master communication-data de 26 ans, basée à Nanterre. Malgré tout, elle n’envisage pas un retour dans un futur proche – bien au contraire. “J’ai vu que si on avait un diplôme universitaire français, on pouvait avoir la citoyenneté française plus tôt”, pointe cette native de l’État de Goiás, proche de la capitale, Brasília. “Ici, j’ai fait des choses que je n’aurais pas pu faire au Brésil, ni dans d’autres pays. Par exemple, aller à l’université et ne pas avoir à travailler à côté grâce à l’alternance ! La France, c’est un beau pays pour faire une carrière !”
Quelques adresses de restaurants brésiliens en Ile-de-France
- La Bahianaise – marché couvert Saint Quentin, 85 boulevard de magenta, Paris 10ème
- Brésil Minas cuisine – 70 Bd Rodin, Issy-les-Moulineaux
- Poulet Alliance – 19 Rue Saint-Hilaire, Saint-Maur-des-Fossés
- Gabriela – 3 rue Milton, Paris 9ème
- Uma nota – 86 rue réaumur, Paris 2ème
- Le roi du rodizio – 126 Av. Aristide Briand, Les Pavillons-sous-Bois
- Brasa Rio – 6 place de Lattre de Tassigny, Chevilly-Larue / 6 rue Oscar Niemeyer, Rungis
- Saara dos Orixás, 1 Av. de la République, Ivry-sur-Seine
Et quelques événements pour vivre le Brésil à Paris
- Gravata Florida – à Montreuil, tous les week-ends (voir leur instagram)
- Festival é proibido cochilar – chaque été au théâtre de la Girandole à Montreuil (dates à venir)
- Roda de l’ermitage – tous les derniers dimanches du mois au Studio de l’ermitage, 8 rue de l’ermitage, Paris 20ème. Acheter sa place en avance sur le site.
- Samba pingo de ouro – tous les premiers mardi du mois sur la péniche Anako, 34 quai de Loire, Paris 19ème.
- Clube de choro de Paris – tous les mardis soir au bar Chez Adel, 10 rue de la grange aux belles, Paris 10ème.
- Festival du cinéma brésilien de Paris – du 29 avril au 6 mai 2025 au cinéma l’Arlequin, 76 rue de Rennes, Paris 6ème.
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