Reconvertir les friches des bords de la Seine avec de l’activité productive réellement pourvoyeuse d’emplois sans détourner le fleuve de ses habitants ni le polluer, l’utilisant au contraire comme transport alternatif aux camions… Tel est le défi du territoire Grand-Orly Seine Bièvre. Un projet stratégique non seulement pour les communes en amont de Paris, mais pour l’ensemble de l’Ile-de-France. Cadrage.
Ce mercredi 3 septembre, l’intercommunalité a fait monter à bord élus de droite et de gauche dans le même bateau, pour échanger avec le préfet du Val-de-Marne et le délégué interministériel au développement de la Vallée de la Seine, à bord deux heures durant. L’enjeu : développer l’emploi local, en privilégiant l’activité productive, qui s’inscrit par ailleurs dans le besoin national de réindustrialisation, évitant l’écueil de mono-activités de stockage qui prennent beaucoup d’espaces pour peu de postes à pourvoir. Un aménagement qui doit s’articuler avec les autres usages de la Seine, notamment son appropriation par les habitants pour s’y balader, s’y déplacer, se ressourcer, et aussi sa préservation écologique.
“On ne peut pas envisager un développement du territoire s’il ne fonctionne économiquement. Je préside le territoire qui a le taux de chômage le plus élevé de la métropole, rappelle Michel Leprêtre, président PCF de l’intercommunalité qui compte 24 villes en Essonne et Val-de-Marne, dont 9 en bord de Seine. On ne peut donc pas travailler que l’aménagement touristique”, motive-t-il. “On a perdu des milliers d’emplois dans le secteur. Aujourd’hui, il nous faut créer une cohérence, un projet qui porte le développement économique, la réindustrialisation, l’emploi.”

Cet article s’inscrit dans le cadre d’une série d’articles sur les problématiques d’industrie en Val-de-Marne réalisés avec le soutien de la Chambre de commerce et d’industrie, à l’initiative d’un programme de valorisation du Fabriqué en Val-de-Marne. Plus d’informations sur l’initiative Fabriqué en Val-de-Marne
“La Seine reste un élément de géographie difficile à franchir, qui n’a pas du tout la même vocation et la même fonctionnalité que la Marne”, reconnaît le préfet du Val-de-Marne, Etienne Stoskopf, tout en rappelant l’aspect “corridor écologique”, insistant sur les défis d’assainissement du fleuve, qui souffre, comme la Marne, des mauvais branchements d’eaux usées à proximité. Et de rappeler les projets de baignade qui sont également à l’ordre du jour en plusieurs endroits.

Penser l’axe Seine, pas seulement de Paris à la mer, mais aussi en amont
Voir au-delà de chaque projet, pour donner une cohérence, c’est justement l’un des objectifs de Serge Castel, délégué interministériel au développement de la vallée de la Seine. Rappelant que cette délégation a été créée en 2013 pour œuvrer au développement de la Seine de Paris jusqu’au Havre, il a plaidé pour englober aussi la Seine amont, “car il n’y a pas de frontières”, évoquant notamment les activités du côté de Nogent-sur-Seine, en Seine-et-Marne.
Prioriser les projets pour être à l’heure des industriels
Pour le délégué interministériel, la principale difficulté reste de concilier le temps long des projets de réaménagement, avec le “besoin urgent de réindustrialisation”, insistant sur la nécessité de prioriser les projets pour les faire aboutir à temps pour que les industriels puissent s’y installer. Encore faut-il aussi concilier la “cohabitation” entre les usages, ajoute-t-il, se présentant comme “facilitateur”.
Immense secteur en transition urbaine, la Seine en amont de Paris a déjà commencé sa mue avec de très grands projets comme Ivry Confluences, une reconversion d’un secteur qui représente pas moins d’un cinquième de la surface de la ville. En bord de fleuve, y ont poussé de nouveaux immeubles de logements, de bureaux, un parc, une nouvelle avenue… Immédiatement au sud, la double zac de Vitry Ardoines et Vitry centre est aussi en cours d’aménagement, avec de nouveaux équipements structurants comme deux futures gares de la ligne 15 sud du métro périphérique Grand Paris Express. Un secteur qui doit gérer des reconversions compliquées comme celle de l’ancienne centrale thermique EDF ou encore du dépôt pétrolier, qui vient enfin d’être vendu à des fins d’aménagement après des années de blocage.
Concilier l’accès aux habitants et la logistique
“La Seine doit reprendre son caractère ludique pour permettre aux gens en appartment de disposer d’espaces verts, mais aussi jouer son rôle pour le fret. Quand on parle avec les industriels qui ont des milliers de tonnes de matériaux à acheminer, cela ne peut plus passer par l’autoroute. On a un énorme enjeu. A Vitry, nous avons donc travaillé à un projet de parc devant la Seine, accessible aux habitants, tout en ménageant des accès aux entreprises pour transporter via le fleuve”, développe Pierre Bell-LLoch, maire PCF de Vitry-sur-Seine, rappelant qu’il que les projets urbains dans sa ville prévoient de développer 20 000 emplois et d’accueillir 8 000 logements.

Concilier les usages, c’est aussi ce qui a été fait à Choisy-le-Roi, rappelle Pascal Girod, directeur du développement économique et emploi du Grand-Orly Seine Bièvre. Des espaces piétons y ont notamment été aménagés devant la médiathèque Aragon, à proximité d’un fournisseur de sables et graviers, non loin du port et encore d’une grosse usine des eaux du Sedif (syndicat des eaux qui dessert 240 villes). Le RER Vélo y passe également. Un travail d’organisation des usages qui s’est effectué à l’occasion de l’arrivée de nouveaux habitants à proximité.

Sur l’ancienne usine Renault : un pôle d’activités productives
Aujourd’hui, c’est l’ancienne usine Renault qui constitue un enjeu fort de reconversion économique. Pour rappel, Renault avait développé, sur ce site en bord de Seine, une activité de reconditionnement, pionnière de l’économie circulaire, transférée il y a quelques années à Flins, pour éviter la fermeture de l’usine emblématique dans les Yvelines. Alors que le site de l’usine choisyenne, en place des jardins du roi Louis XV qui entouraient l’ancien château, aurait pu être revendu pour faire du logement en bord de fleuve, le premier combat, porté par l’ensemble des collectivités et d’acteurs du monde économique, a été de penser une reconversion économique productive. La Chambre de commerce et d’industrie avait à l’époque fait réaliser une étude pour dessiner un pôle d’économie circulaire, pour pouvoir se projeter. Finalement, le site a été racheté par le collectif d’acteurs de l’immobilier Axtom pour accueillir de l’activité productive. L’enjeu est important en termes d’emplois. “Nous sommes sur un site de 10 hectares avec une capacité de 30 000 à 40 000 m2 d’activités, avec 2 000 emplois potentiels”, chiffre Pascal Girod.
Au-delà de l’activité productive et de l’emploi, les repreneurs ont aussi dû s’engager à s’appuyer sur le fleuve pour sa logistique. Car, parmi les éléments de cohérence, insiste Michel Leprêtre, la Seine ” doit être un élément de décision”. Un engagement qui implique aussi un accompagnement, reconnaît Pascal Girod. “ne suffit pas d’engager un acteur à s’appuyer sur la Seine pour son transport. “C’est un sujet extrêmement compliqué et qui peut être coûteux. Il y a besoin de l’accompagner avec des acteurs comme VNF (Voies navigables de France), l’Etat, la Région, la Métropole... Tous seuls, on n’y arrivera pas.”

A Villeneuve-le-Roi : cluster de l’innovation fluviale à la Carelle
A Villeneuve-le-Roi, c’est le secteur de la Carelle, avec ses darses (bras du fleuve qui entrent dans les terres), qui fait l’objet d’un projet de réindustrialisation. “L’EPA Orsa (établissement public rattaché à Grand Paris aménagement) y a réalisé des études de requalification”, cadre Didier Gonzales, maire LR de la ville. De ces conclusions, est né un projet d’acquisition des terrains autour des Chantiers de la Haute Seine (chantier naval aujourd’hui propriété du groupe Cemex) pour développer un cluster d’innovation fluviale privilégiant notamment l’activité de rétrofit, qui consiste à convertir des moteurs à combustible fossile de bateaux vers de l’électrique. D’ores et déjà, s’y est installé le japonais Saraya “qui construit des structures pour dépolluer l’eau”.

Un projet déjà démarré qui se heurte toutefois à plusieurs obstacles. “Nous avons identifié un secteur de 20 000 m2 qui était à vendre, et avons décidé de préempter pour éviter un achat par un stockeur de bennes”, explique le maire. “Mais l’acheteur a fait appel, et, dans l’attente de l’issue judiciaire, il revient à la ville de porter le séquestre, ce qui représente une somme de 2,5 millions d’euros… Ce n’est pas à la ville de porter cette somme, alors que le projet la dépasse largement. C’était justement l’enjeu de l’OIN (Opération d’intérêt national)”, estime l’élu, rappelant que, en termes d’emploi, cela fera une grosse différence.

Autre contrainte dans le secteur : le dépôt pétrolier, classé Seveso 2, et sa quinzaine de cuves disséminées sur un large périmètre, obérant tout autour les possibilités d’aménagement. Alors que le dépôt de Vitry va pouvoir fermer, la suppression de ce pôle d’approvisionnement n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour et la ville plaide dans un premier temps pour un resserrement du périmètre.

Renaturation
Exemple du mélange des ambiances, les berges de Villeneuve-le-Roi permettent aussi d’accéder à un grand parc, classé Espace naturel sensible par le département dès 2013, sur la friche de la Pierre Fitte, entièrement dépollué après un passé industriel.

De renaturation, il est aussi question à Villeneuve-Saint-Georges, du côté des berges de l’Yerres, où le réaménagement paysager prend enfin forme après des années d’obstacles à surmonter. Car parmi les problématiques dont il faut tenir compte, il y a aussi les inondations, insiste Didier Gonzales, dont l’une des casquettes est la délégation à la Gestion de l’eau, des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (GEMAPI) au sein de Seine Grands lacs. (Seine Grands lacs est un établissement public qui regroupe les collectivités de la Seine amont, jusqu’au plateau de Langres où le fleuve prend sa source. Cet établissement pilote notamment le projet de casier pilote de la Seine Bassée, une grande plaine inondable destinée à éviter les inondations en aval, dans la région parisienne.) Une prévention des inondations qui passe par une moindre bétonisation des berges, souligne l’élu. Occasion de “questionner le projet face à Ablon.”
Concertation
C’est l’un des sujets qui fâche : le projet d’Haropa de créer un port industriel pour accueillir des porte-conteneurs et développer des activités logistiques et de BTP, à Vigneux-sur-Seine, sur une friche actuellement entièrement boisée, face à Ablon-sur-Seine. De quoi mettre vent debout le maire, Eric Grillon (LR). “On parle d’une quarantaine d’hectares qui seront annexés, pour créer 30 emplois à peine, ce qui n’est pas cohérent par rapport à un objectif de développement de l’emploi”, développe l’élu. Et de rappeler que les rives d’Ablon situées en face sont symboliques de la ville, “comme la Tour Eiffel à Paris, car c’est là où nous avons les plus belles maisons remarquables.” Surtout, insiste l’élu, “il n’y a eu aucune concertation. Haropa ne nous a pas prévenus et cela s’est fait en catimini avec la commune voisine.”

Une passerelle pour relier Villeneuve-Saint-Georges au parc d’Orly
Nature encore à Orly, qui dispose déjà d’un parc en bord de Seine. La maire, Imène Souid-Ben Cheikh (DVG), défend pour sa part la nécessité de créer des connexions pour pouvoir concilier les usages. “A Orly, nous avons quatre enjeux autour de la Seine, résume la maire. Le premier est celui de l’accessibilité aux piétons, car beaucoup de berges sont actuellement inaccessibles. Le second concerne le transport fluvial pour acheminer les matériaux ou déchets des chantiers en cours. Le troisième est celui de l’aménagement. Nous avons déjà un parc urbain et souhaiterions le prolonger d’une passerelle vers Villeneuve-Saint-Georges, pour permettre à leurs habitants d’en bénéficier.” Un projet qui ne peut non plus reposer uniquement sur les finances de la ville, insiste la maire, qui espère un soutien de la Métropole du Grand Paris. Parmi les autres projets d’aménagement, figure aussi une baignade. “Le quatrième enjeu est la création d’une ferme urbaine pour alimenter notre cuisine centrale.”

Sur le plan industriel, c’est en revanche plutôt du côté de la plate-forme aéroportuaire, à cheval sur Orly et Paray-Vieille-Poste, que le potentiel a été identifié, avec l’opérateur aéroportuaire, ADP.
Connexion du fleuve au fer : faire de Villeneuve Triage une plate-forme multimodale
Autant de projets connectés au fleuve, dont l’aboutissement en termes de logistique reste conditionné à une connexion au fret ferroviaire. C’est là tout l’enjeu du Contrat d’intérêt national (CIN) Triage. Concrètement, il s’agit ici d’opérer une liaison ferroviaire de Villeneuve triage jusqu’au port de Bonneuil et de créer une voie routière de désenclavement entre Triage et le port de Bonneuil, à la N 406. Un projet à 60 millions d’euros. Car c’est cette connexion facile avec le fret ferroviaire qui permettre de connecter le fleuve au fer plutôt que d’envoyer des milliers de camions sur les routes. “Ce n’est pas seulement un problème de circulation, c’est aussi un problème de santé publique”, insiste Michel Leprêtre.
Esquisse, concertation, priorisation planification… financement
Reste ensuite à formaliser les projets et les faire financer. Défendant l’enjeu de cette réindustrialisation propre de la vallée de la Seine amont, au-delà de la seule échelle intercommunale, le territoire entend bien la défendre à toutes les échelles, avec si possible plusieurs enveloppes à la clef pour faire aboutir chaque projet. “Ce qu’on souhaite est un engagement de l’Etat sur ces différents sujets, après un constat partagé des enjeux, pour trouver ensemble les solutions en ingénierie d’abord, en s’appuyant sur VNF, l’Ademe (Agence de la transition écologique), la Banque des territoires…, puis sur le plan financier”, résume Pascal Girod, insistant sur la portée à long terme de ces projets. A l’instar du pôle de Villeneuve Triage, qui pourrait devenir une plate-forme multimodale permettant de desservir Paris. “Un enjeu majeur pour toute l’Ile-de-France”, “en terme de connexion fluviale, d’approvisionnement, de logistique, de développement économique.”
D’ores et déjà, l’intercommunalité s’est inscrite dans le programme Territoires d’industrie, le contrat de plan Etat région (CPER), et tente actuellement de se faire une place dans le contrats de plan de la vallée de la Seine (CPIER). Le territoire a aussi adhéré à l’Entente Axe Seine, créé il y a quelques années par la Métropole du Grand Paris, la ville de Paris, la Métropole Rouen Normandie et la Communauté urbaine Le Havre Seine Métropole pour développer des projets communs sur ce sillon, en termes de mobilité comme de culture. “Il est important d’inscrire tous ces projets dans les documents stratégiques et dans toutes les dynamiques pour leur donner de la visibilité et lever les freins.”
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