L’une est gérée par des villes de droite, l’autre par des communes de gauche, mais les deux régies publiques de l’eau potable créées dans l’intercommunalité du Grand-Orly Seine Bièvre revendiquent à l’unisson la maitrise de ce service public. Et les deux n’ont pas peur des bras de fer. Ambiance ce jeudi soir à Orlytech, dans le nouveau siège des deux régies rebelles, qui devraient être rejointes par de nouvelles villes dès 2025.
Ce jeudi 25 janvier, l’heure est à la fête dans le siège en fin de chantier des deux nouvelles régies. D’un côté, Eau Seine et Bièvre regroupe neuf communes du Val-de-Marne (Arcueil, Cachan, Chevilly-Larue, Fresnes, Gentilly, Ivry-sur-Seine, Le Kremlin-Bicêtre, Orly et Vitry-sur-Seine) dirigées par la gauche. De l’autre, la Régie des Eaux de Seine et Orge (Reso) regroupe Morangis, Paray-Vieille-Poste et Savigny-sur-Orge (cette commune rejoindra la régie partir de 2025) en Essonne, et Villeneuve-Saint-Georges en Val-de-Marne. Quatre villes gérées par la droite. Deux entités distinctes qui travailleront néanmoins main dans la main. “On n’est pas de la même famille politique, mais on peut se retrouver sur beaucoup de sujets”, rappelle Brigitte Vermillet, présidente de Seine et Orge et maire de Morangis.
Les deux régies s’appuieront sur une équipe commune actuellement composée de 37 agents et qui compte doubler ses effectifs pour passer les 70, et une direction générale unique assurée par Quentin Deffontaines, lequel a travaillé à la préfiguration des régies dès le début 2022.
Divorce à l’amiable avec le Sedif
L’aboutissement d’un long parcours pour la Régie Eau Seine Bièvre. Dès sa création en 2016, l’intercommunalité du Grand-Orly Seine Bièvre, en charge de la compétence gestion de l’eau pour ses 24 communes* a lancé la réflexion, à la demande de plusieurs villes. “C’était ma feuille de route dès 2008”, se souvient Fatah Aggoune, président de la régie et premier adjoint à la maire de Gentilly. Ont suivi des études de faisabilité et une longue négociation avec le Syndicat intercommunal des eaux d’Ile-de-France (Sedif) dont les communes étaient précédemment membres, pour en sortir sans se fâcher. Le divorce amiable conclu, la nouvelle régie a noué une nouvelle relation contractuelle avec le Sedif pour lui acheter son eau, actuellement au prix de 55 centimes le m3. Un deal qui court jusqu’en 2029. Indirectement, c’est donc Veolia, délégataire du Sedif (reconduit ce jeudi pour 12 ans), qui continuera d’approvisionner les villes en eau, mais la gestion de la distribution sera assurée directement par la régie.
*Le Grand-Orly Seine Bièvre est l’une des intercommunalités de la Métropole du Grand Paris. Ce territoire regroupe 24 communes dont 18 en Val-de-Marne et 6 en Essonne, représentant une population totale de plus de 700 000 habitants. Les 18 communes du 94 sont : Ablon-Sur-Seine, Arcueil, Cachan, Chevilly-Larue, Choisy-Le-Roi, Fresnes, Gentilly, Ivry-Sur-Seine, Le Kremlin-Bicêtre, L’Haÿ-Les-Roses, Orly, Rungis, Thiais, Valenton, Villejuif, Villeneuve-Le-Roi, Villeneuve-Saint-Georges et Vitry-sur-Seine. Les 6 communes de l’Essonne sont : Athis-Mons, Juvisy-Sur-Orge, Morangis, Paray-Vieille-Poste, Savigny-Sur-Orge et Viry-Châtillon.
Bras de fer avec Suez
Du côté de Seine et Orge, pas de séparation avec le Sedif à négocier mais une concession avec Suez, l’autre grand opérateur de l’eau, dont il a fallu attendre la fin. C’est pourquoi Savigny ne rejoindra la régie que début 2025. Le montage est aussi un peu différent. Concrètement, le Grand-Orly Seine Bièvre a créé un syndicat intercommunal avec trois intercommunalités de l’Essonne (Cœur d’Essonne, Grand Paris Sud Seine-Essonne-Sénart, Val d’Yerres Val de Seine) et le soutien du conseil départemental de l’Essonne et de Paris Saclay. C’est ce syndicat intercommunal, baptisé Eau du Sud Francilien, qui vend l’eau à Grand-Orly Seine Bièvre qui la revend à la régie publique Seine et Orge. S’il n’y a pas eu de divorce à gérer, il n’y en a pas moins un bras de fer avec Suez, qui ne fait que commencer. En cause : le prix de l’eau, vendue par Suez à Eau du Sud à 70 centimes le M3. Un montant que les villes estiment excessif. En décembre, Eau du Sud a donc décidé de fixer elle-même le prix à 50 centimes. L’affaire est désormais devant les tribunaux. En attendant, la régie a provisionné le montant le plus haut. Le différend concerne aussi la propriété des usines de production d’eau potable, que le syndicat souhaiterait récupérer, et dont Suez revendique la propriété.
Proximité, maîtrise, tarification sociale
Cela n’a pas empêché les élus du Val-de-Marne et de l’Essonne de savourer leur plaisir ce jeudi soir, rappelant l’enjeu de passer en régie publique. Pour “retrouver la proximité d’une distribution à taille humaine”, a plaidé Brigitte Vermillet, soulignant à quel point cette notion s’était imposée comme une évidence lors d’une réunion avec les habitants. Une proximité indispensable pour gérer, par exemple, les travaux d’entretien et de réparation.
“Parce que l’eau est un bien commun qui ne doit pas faire l’objet de boursicotage”, a, de son côté, insisté Michel Leprêtre, déplorant qu’aujourd’hui, l’eau rapporte essentiellement à deux groupes et leurs actionnaires.
Une autonomie de gestion qui permettra aussi de mettre en place une tarification sociale et une gouvernance démocratique, développe pour sa part Fatah Aggoune.
Gouvernance démocratique
Concrètement, les représentants du personnel et des associatifs ont déjà une voix délibérative dans l’administration de la régie Seine Bièvre, a développé le président, en marge de l’inauguration. “Et demain, nous allons créer un comité citoyen comprenant des habitants des neuf communes, qui aura aussi une voix délibérative”, détaille l’élu. Parmi les premiers chantiers de ce comité : la mise en place d’une tarification sociale.
En attendant, les deux régies ont mis en place un dispositif “Seaulidaire” qui aide les ménages les plus précaires, en s’appuyant sur les CCAS (Comités communaux d’action sociale) et les bailleurs sociaux.
À quand la baisse des tarifs ?
La baisse des tarifs, elle, ne sera pas immédiate. Dans un premier temps, “chaque euro sera réinvesti dans l’entretien et le renouvellement des infrastructures”, motive Brigitte Vermillet, montant un échantillon de tuyau percé, issu du réseau (voir ci-dessous). Côté investissement, la régie Seine Bièvre prévoit par exemple 12 et 14 millions d’euros de travaux en 2024. “Nous n’avons pas augmenté le prix, contrairement à ce que prévoit le Sedif. Cela constitue donc une forme de baisse”, estime pour sa part Fatah Aggoune.
À noter que le prix de l’eau, sur la facture finale de l’usager, comprend beaucoup d’autres lignes. Elle comprend à la fois les frais de production et distribution de l’eau, mais aussi les frais d’assainissement et des taxes diverses.
Sensibiliser aux écogestes
En parallèle de ce changement de gouvernance, les deux régies se sont aussi engagées à sensibiliser la population aux écogestes pour préserver cette ressource, avec des ateliers dans les écoles et les différentes manifestations. Il reste aussi à convaincre les habitants que l’eau du robinet est bonne, ce qui ne va pas de soi, au vu des micro-trottoirs diffusés par l’agence de communication des régies lors de l’inauguration. L’eau du robinet est plus saine, insiste Brigitte Vermillet, citant une étude révélant la présence de microplastique dans l’eau en bouteille.
Villejuif et Athis-Mons prêtes à rejoindre les régies
D’autres villes sont déjà dans le starting-block pour rejoindre les régies. Le comité du Sedif de juin 2024 devrait ainsi donner son ticket de sortie à Villejuif, qui rejoindra alors la régie Seine Bièvre en janvier 2025. En Essonne, Athis-Mons est aussi prête à rejoindre l’une des deux régies très prochainement.
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