“Départ“, “asile“, “refuge” ou encore “avenir“, voici des mots qui accompagnent l’entrée des visiteurs du Musée de l’histoire de l’immigration. Réactualisée, l’exposition permanente du musée y ouvre ses portes au public le 17 juin. Visite.
Dans les escaliers du Palais de la Porte Dorée qui mènent au Musée de l’histoire de l’immigration, on lit des mots qui évoquent le mouvement. “Départ”, “avenir”, “horizon”, “fuir” sont écrits sur les murs. Accompagnés de photos de voyageurs passant la frontière franco-espagnole ou débarquant dans le port de Marseille, ils sont peu à peu rejoints par des termes qui rappellent une arrivée : “hospitalité”, “langage”, “asile”, “refuge”. Une disposition probablement pensée pour introduire le message de l’œuvre de Claire Fontaine qui attend le visiteur en haut des escaliers : “Étrangers partout”, écrit au néon en français, en grec et en portugais.
L’œuvre elle-même véhicule une des idées directrices du nouveau musée : celle de la “France à géométrie variable”. “Il s’agit de casser la dychotomie entre Français et étrangers”, explique Sébastien Gökalp, commissaire général de l’exposition permanente. “Il n’y a pas de césure immuable, car on gagne la nationalité française, ou on la perd, précisément parce que la France elle-même change. On peut penser à des épisodes comme l’esclavage, qui font que des milliers de personnes deviendront françaises par la suite. À l’inverse, on peut aussi penser à la décolonisation : au cours des années 1960, ce sont 10 millions de personnes qui perdent la nationalité française”, rappelle l’historien.
Nouvelles temporalités
La nouvelle version du musée de l’histoire de l’immigration fait la part belle à l’histoire des circulations. L’objectif est de démonter le cliché selon lequel toutes arrivées seraient définitives. L’exposition nous apprend qu’avant d’être des installations, les arrivées sont souvent faites d’allers-retours, voire de retours tout court.
C’est dans cette optique que le premier des 12 repères temporels choisi par le musée pour restituer l’histoire se situe en 1685. Cette année-là, le “Code Noir” entrait en vigueur pour les esclaves Noirs des Antilles. Dans le même temps, en métropole, la révocation de l’édit de Nantes provoquait la fuite de plus de 180 000 protestants huguenots. Formant le mouvement migratoire le plus important de l’Ancien Régime, ils se sont dirigés vers les Pays-Bas, la Suisse, la Grande-Bretagne et l’Amérique.
Réactualisée à l’aune des avancées de la recherche historique, la présentation part donc de plus loin dans le temps.
Illustres et anonymes
Cette “France à géométrie variable” s’illustre aussi par l’évolution du droit des étrangers, restituée tout au long de l’exposition. C’est à partir de la Révolution française de 1789, second repère choisi par les commissaires, que les étrangers peuvent massivement accéder à la nationalité française. Désormais, il suffit d’avoir d’avoir contribué à l’avènement de la République, ou d’avoir résidé cinq ans sur le territoire. Mais quinze ans plus tard, le Code Civil napoléonien augmente cette durée à 10 ans. Plus d’un siècle plus tard, le régime de Vichy annule plus de 15 000 naturalisations, parmi lesquels de nombreux Juifs.
Pour illustrer les effets concrets des évolutions de l’immigration, chaque période est ponctuée de récits de vie d’exilés. On apprend ainsi l’histoire de Seïd Enkess, né en 1821 au Sud du Soudan. Réduit en esclavage et acheté par un Italien, il arrive en France en 1838, et devient modèle professionnel. Le sculpteur Charles Cordier réalise son buste. Ce dernier rencontre un franc succès lors du Salon de 1848, année de l’abolition de l’esclavage en France.
Ces récits d’immigrés illustres croisent aussi des trajectoires plus simples. En témoigne celle de José Baptista de Matos, immigré portugais arrivé en 1963 dans le bidonville de Champigny-sur-Marne. Comme lui, plus de 10 000 de ses compatriotes ont fui la misère et la dictature de Salazar. Pendant plus de trente ans, José Baptista de Matos a travaillé sur des chantiers de métro et de RER. Tout en restituant son parcours, le musée expose sa “pierre trophée” : un bloc de roche trouvé alors qu’il réalisait la station Charles-de-Gaulle.
Lire aussi : Disparition du passeur de mémoire José Baptista de Matos
L’exil en musique
L’exposition raconte l’exil en musique. Désormais, un studio tapissé des vinyles de Youssou N’Dour, Serge Reggiani, ou Suprême NTM, rend hommage à la contribution des immigrés à la chanson française. Il met également en avant les styles étrangers popularisés en France par les communautés exilées, comme le raï algérien ou la rumba congolaise.
À l’intérieur, l’auditeur pourra se plonger dans cinq playlists, axées autour de différents thèmes : “indépendances et contestations”, “l’exil en musique”, “le grand mix”…
Un lien avec le présent
Une parenthèse festive, qui n’empêche pas l’exposition d’aborder les passages sombres de l’Histoire : le massacre des Italiens à Aigues-Mortes en 1893, la vague de meurtres envers les Algériens de 1973… Il y a également un banc du tribunal de Bobigny, où se sont assis bon nombre de “sans-papiers” avant leur expulsion. Il illustre le durcissement des lois migratoires, notamment causé par la fermeture des frontières en 1974.
Le dernier repère temporel est le temps présent. Il est marqué par les crises migratoires syrienne et irakienne, ainsi que par la mobilisation des travailleurs immigrés, en première ligne lors de la pandémie de Covid. La dernière date est le lancement en mars 2022 d’une plateforme des réfugiés de l’invasion russe de l’Ukraine. Preuve, s’il en est, que l’Histoire s’écrit encore.
Pour célébrer sa réouverture, le Musée de l’histoire de l’immigration ouvrira gratuitement ses portes le weekend du 17 et 18 juin.
Si l’immigration pouvait demeurer dans un musée….
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.