D’une année sur l’autre, les projets d’agriculture urbaine se multiplient, le plus souvent assortis d’une vocation pédagogique et événementielle. Leur modèle économique productif reste en revanche limité. Exemple en Seine-Saint-Denis.
De l’élevage en pleine ville, des potagers sur les toits ou encore des serres verticales… L’agriculture urbaine a bien pris racine en Ile-de-France. Selon l’Observatoire de l’Agriculture urbaine et des jardins collectifs, l’Ile-de-France compte ainsi plus de 900 structures, qui vont de la ferme spécialisée au jardin partagé, dont environ un tiers en Seine-Saint-Denis. (Voir la carte)
Quand la rénovation urbaine se fait agricole
C’est le cas, par exemple, de la Cité maraîchère municipale de Romainville. Courgettes, aubergines, endives, fraises, poivrons, tomates, champignons en sous-sol… Depuis février 2021, elle a pris la forme de deux grandes serres verticales dans le cadre de la rénovation urbaine du quartier Marcel Cachin. Alors que les réhabilitations de cités passent souvent par de nouveaux commerces et bureaux aux côtés des logements, la ville a décidé de parier sur l’agriculture.
“Tous les mercredis, nous proposons notre récolte aux habitants en fonction du quotient familial. Ceux pour qui il est le plus élevé, payent leur panier au prix de Rungis et ceux pour qui il est le plus bas, ont 75% de remise. Le succès a été immédiat“, explique Yuna Conan, la directrice de la Cité maraichère.
“L’idée est de proposer des paniers assez variés, à la fois dans la saison, et pour qu’il n’y ait pas que deux légumes tout l’été. La conception du bâtiment nous oblige néanmoins à être parfois moins dans la diversité des cultures, pour assurer un minimum de rendement“, souligne Etienne Sahy, le chef de culture. Dans l’idéal, la Cité maraichère vise une production de 9 à 10 tonnes par mois, mais elle en est encore loin. “Nous sommes une micro-ferme, notre rôle est davantage d’ordre écologique et social qu’alimentaire“, rappelle Yuna Conan. “La ferme verticale de Romainville est un exemple intéressant, mais dans les faits, sa production reste relativement modeste. L’orientation productive du départ a d’ailleurs évolué vers une infrastructure d’éducation“, observe également Christine Aubry, agronome des systèmes techniques, responsable de l’équipe agricultures urbaines à l’Inra/AgroParisTech.
La serre, qui fonctionne en s’appuyant sur un chantier d’insertion, comprend ainsi un espace dédié au public avec notamment un espace de restauration, un atelier et une serre pédagogique et expérimentale.
Lien social, sensibilisation : une vocation pédagogique avant d’être productive
“En intra-urbain ce sont les formes d’activités multifonctionnelles qui sont appelées à se développer parce qu’elles comprennent une part importante de service immatériel, comme La Ferme de Gally à Saint-Denis, ou parce qu’elles ont un rôle d’insertion comme Novaedia (La Ferme des possibles) à Stains, poursuit Christine Aubry.
Inciter les habitants à recréer un lien avec la terre, c’est notamment le pari de l’association La SAUGE (Société d’Agriculture Urbaine Généreuse et Engagée), créée en 2015 par Swen Déral et Antoine Devins. Son ambition : faire jardiner tout le monde deux heures par semaine, via des jardins partagés, des programmes pédagogiques ou des pépinières. Une manière concrète de sensibiliser chacun à l’alimentation durable et d’imaginer des solutions collectives à la transition agroécologique. À l’actif de l’association : la création de lieux qui concilient plantation, pédagogie et évenementiel, dont trois en Seine-Saint-Denis, La Prairie du Canal à Bobigny, La Plaine Terre à Saint-Denis et Terre Terre à Aubervilliers.
Déployé sur 3 000 m2, Terre Terre accueille notamment des potagers pour les habitants, sur des mini parcelles de 1 à 6 M2 et une pépinière où chacun peut venir s’essayer à la semence ou à la bouture. On peut y jardiner, bricoler, entretenir la ferme, rejoindre des chantiers participatifs ou simplement flâner entre les espaces de jeux. “Ici on est dans un quartier prioritaire où les gens ont du mal à créer du lien. Il n’y a pas beaucoup d’endroits où ils peuvent se côtoyer. Les miniparcelles permettent de faire se rencontrer les quatre-vingt-dix foyers qui les cultivent”, motive Chloé, responsable du site. L’association intervient aussi dans les écoles ou en entreprises, à l’occasion de teambuildings solidaires.
Pas de modèle économique 100% agricole
Au-delà de ses applications pédagogiques ou événementielles, le modèle économique de l’agriculture en ville reste en revanche fragile, car la productivité n’est pas toujours au rendez-vous et le coût de revient peut vite grimper. En témoigne l’initiative de la startup Agricool qui avait réussi à lever 35 millions d’euros pour faire pousser des légumes à La Courneuve, avant de baisser le rideau quelques années plus tard.
Lire : Fin de partie pour la startup d’agriculture urbaine à La Courneuve
“Ceux qui s’en sortent sont les acteurs de niches, comme les producteurs d’herbes aromatiques ou de champignons et qui peuvent trouver des débouchés intéressants avec la restauration commerciale“, souligne Christine Aubry. On s’est rendu compte que si l’on mettait en culture tous les toits de Paris, on peinerait à arriver à 10% de la consommation parisienne.”
“Quant aux petits fantasmes sur les fermes verticales, on commence à en sortir“, poursuit l’agronome. “Heureusement” selon elle, car “les porcheries verticales de Shanghai ne font pas rêver…”
Au-delà de l’agriculture urbaine locale, penser l’accès à l’alimentation en ville
“Il ne faut pas se voiler la face, ce n’est pas avec les projets d’agriculture urbaine en Seine-Saint-Denis que l’on va nourrir le département“, résumait de son côté Stéphane Troussel, le président PS du département, lors du lancement du plan alimentaire territorial (PAT) en février 2023. De fait, plus de 90% de la surface du département est artificialisé.
L’héritage de la plaine des Vertus est aujourd’hui bien mince. À la fin du 19ᵉ siècle pourtant, les terres, d’Aubervilliers à Drancy, faisaient office de grenier à légumes de Paris. Les cultures s’étendaient alors sur 2 000 hectares. Aujourd’hui, la surface agricole utile ne représente plus que 2,4% du département. Or, s’il fallait nourrir la population séquano-dyonisienne (1,7 million d’habitants), il faudrait au minimum 500 000 hectares, soit 21 fois la taille de l’ensemble du département, et jusqu’à et 42 fois en fonction du régime alimentaire visé.
Lire : La Seine-Saint-Denis lance son “Plan alimentaire territorial”
“La priorité du PAT est d’abord sociale, de rendre une alimentation durable et qualité accessible à tous“, précise Frédérique Denis, conseillère départemental (EELV) déléguée au PAT. L’un des objectifs de la collectivité est ainsi de créer “des boucles alimentaires vertueuses“. D’une part, pour réduire l’insécurité alimentaire dont l’ampleur a été mise en évidence par la crise du COVID-19 ; d’autre part, pour atténuer l’extrême dépendance de la Seine-Saint-Denis aux circuits longs d’approvisionnement alimentaire. Ce qui est d’ailleurs le cas de l’ensemble de l’Ile-de-France, dont l’autonomie alimentaire est estimée à seulement trois jours par l’Agence de la transition écologique (Ademe).
Propos recueillis par Charles Henry et Clara Ruffing
Lire aussi :
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.