Des guinguettes aux somptueuses demeures en passant par les clubs nautiques ou les villas plus modestes, les constructions qui ont peuplé les bords de Marne à partir de la moitié du 19e siècle, ont puisé dans des registres d’inspiration éclectiques. Art nouveau, chalet suisse, style néo-normand, néo-gothique ou néo-mauresque, imitation de la nature… Un joyeux catalogue de styles et de modes encore bien visible aujourd’hui, enrichi au fil du temps de nouveaux gestes architecturaux, aux côtés de constructions plus fonctionnelles. Coup d’œil en Val-de-Marne.
Davantage préservés de l’industrialisation en raison des moindres capacités de navigation de la rivière, les bords de Marne sont devenus le symbole de détente et de fête dans les guinguettes, et de sports nautiques. Une ambiance réjouissante qui s’est exprimée dans la pierre avec gourmandise. Loin des rigoureuses avenues haussmanniennes, les propriétaires de villas de bords de Marne ont laissé libre cours à leur fantaisie, au gré des modes du moment.
Cet article s’inscrit dans le cadre d’une série d’articles sur la Marne, réalisés avec le soutien de Val-de-Marne Tourisme et Loisirs, qui propose des croisières thématiques sur la Marne durant toute la belle saison. Voir le programme complet
Une croisière est notamment consacrée à la Belle Époque, en compagnie de Vincent Villette, directeur du Musée intercommunal de Nogent-sur-Marne, qui a préparé une série de cartes postales à projeter, pour raconter cette période et comparer les paysages avec aujourd’hui.
Cette croisière est proposée le dimanche 8 septembre à 14 heures, ou le samedi 28 septembre à 10h30. Plus d’infos et réservations
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“Cette architecture a capté un peu tout ce qui pouvait exister”, résume Vincent Villette, directeur du musée intercommunal de Nogent-sur-Marne. “Il y a d’abord un véritable goût pour le pastiche, avec notamment le style Robinson, très prisé par une bourgeoisie du Second Empire qui veut de la nature, et va l’imiter jusque dans l’architecture.” Le rusticage, qui consiste à reproduire du faux bois en ciment, bat alors son plein, dans les jardins publics comme chez les particuliers. Dans les jardins, cet art engendre des kiosques, des rambardes ou du mobilier, mais, aussi, plus rarement, de véritables habitations. C’est le cas à Nogent-sur-Marne, dans l’île de Beauté, où demeure un ensemble de maisons.
Le chalet suisse : l’exotisme chic et nature de la fin 19e
Autre pastiche, un temps très à la mode, celui du chalet suisse. “Toutes les gares de la ligne Paris-Bastille (ouverte en 1859), après celles de Saint-Mandé et Vincennes, étaient construites sur le modèle du chalet suisse”, rappelle Vincent Villette. Seule perdure aujourd’hui celle de Nogent. En bord de Marne, un très joli exemple en est donné sur l’île aux loups, accessible uniquement en bateau. “Si l’image stéréotypée du chalet se popularisa à l’étranger, la Suisse ne manqua pas de se la réapproprier. En 1900, à l’occasion de l’Exposition universelle, elle fit ériger à Paris un rocher artificiel entouré de chalets au format légèrement réduit”, note ainsi Hannes Mangold, responsable de la médiation culturelle à la Bibliothèque nationale suisse, sur le blog du Musée national suisse.
Néo-normand, néo-gothique, néo-mauresque…
Autre source d’inspiration : les villas anglo-normandes, avec leurs pans de bois, leurs hautes et débordantes toitures pointues, leurs bow-windows et leurs nombreux décrochages et fantaisies. Beaucoup peuplent encore les rives de la Marne.
D’autres villas se nourrissent pour leur part de néo-gothique, arborant pignons de bordure ouvragés, créneaux, flèches et autres gargouilles. Sans oublier le Néo-mauresque, qui transparait à la Maison Convert.
Vestige de l’expo universelle de 1878 : la Datcha du Val-de-Marne
Parmi les excentricités à découvrir, pas directement en bord de Marne, mais à quelques dizaines de mètres : l’ancien pavillon de la Russie érigé par l’architecte Ivan Ropet pour l’Exposition universelle de 1878 à Paris, aujourd’hui convertie en habitation à Nogent-sur-Marne.
L’Art nouveau : des villas aux guinguettes
À la fin du 19e siècle jusqu’un peu avant la Première Guerre mondiale, le courant, alors contemporain, qui va largement influencer les constructions de bords de Marne est l’art nouveau. Cet art total, qui va de l’architecture au mobilier et la décoration, est aussi largement inspiré de la nature, sa faune et sa flore dont il accueille les courbes organiques.
Outre les demeures, qui vont intégrer de nombreux éléments décoratifs art nouveau, des guinguettes célèbres, comme Tanton ou A la Cloche, illustreront pleinement ce courant.
“C’est une époque où l’on aime la fantaisie. Et puis, les commanditaires ont aussi une plus grande variété de choix. Il pouvait acheter des décors sur catalogue et demander au maçon de l’intégrer. Cela a contribué à la grande diversité des façades”, explique le directeur du musée. Cela sera largement le cas des éléments décoratifs de l’art nouveau. Avec des fournisseurs locaux, comme la Faïencerie Boulenger, à Choisy-le-Roi, qui propose sur catalogue de nombreuses combinaisons de frises en céramique.
Ci-dessous, la page extraite d’un catalogue de 1898 de la faïencerie Hippolyte Boulenger, donne à voir des exemples de frises que l’on peut retrouver sur les façades des maisons art nouveau. Le portail Céramique architecturale décorative, qui a mis en ligne cette page de catalogue, propose de nombreux exemples de mise en situation.
L’art déco à l’église
Après 1910, l’art nouveau va progressivement laisser la place à l’art déco, plus rectiligne. Près de la Marne, visible depuis le quai Fernand Saguet un exemple majeur en est l’église Sainte Agnès, à Maisons-Alfort. Érigée de 1932 à 1933 par les architectes Marc Brillaud de Laujardière et Raymond Puthomme, qui s’inspirèrent de l’église Notre-Dame du Raincy.
L’architecture des années 1930 se déploie ensuite, avec un exemple encore bien visible sur les quais de Joinville, son club d’aviron, inauguré en 1934.
Les Castors, symbole d’un besoin de logement à prix modéré
Après la Seconde Guerre mondiale, l’esprit villégiature des bords de Marne ne reprend pas. Les guinguettes ferment et les Parisiens en quête de campagne gagnent des contrées plus lointaines grâce à l’automobile. Les constructions prennent une dimension fonctionnelle, avec le développement d’habitats collectifs. “Les constructions prennent aussi de la hauteur, pour avoir un point de vue sur la Marne”, note Vincent Villette.
Parmi les traces de l’après-guerre, visibles en bord de Marne, subsiste notamment un lotissement à l’initiative d’une association de Castors, entre le quai de Champagne et l’allée des Castors. Les Castors est un mouvement coopératif qui se développa fortement au lendemain de la guerre, pour fédérer dans des associations locales des familles qui s’unissaient pour construire elles-mêmes leurs pavillons.
Le Musée de la Résistance Nationale : une nouvelle page d’architecture
Les belles villas, elles, sont soit restaurées et valorisées par leurs nouveaux propriétaires, soient revendues et transformées en petits collectifs, avant que ce patrimoine ne soit inventorié et protégé. Parmi les nouvelles constructions, qui concernent aussi des entreprises et autres activités, l’architecture se réinvente.
Exemple magistral de ce renouveau, le bâtiment qui abrite aujourd’hui le Musée de la Résistance Nationale à Champigny-sur-Marne. Conçu par les architectes Dominique et Giovanni Lelli, ce bâtiment, qui a d’abord abrité le CDDP (Centre départemental de documentation pédagogique), se distingue par l’un des plus grands porte-à-faux de France (16m2) qui soutient un hall aux baies vitrées donnant sur la Marne.
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