D’ici 2022, le centre de commandement unifié des lignes SNCF de l’Est parisien, dont la ligne de RER E en cours de prolongement à l’ouest, sera opérationnel. Un joli bâtiment dont la réalisation aura tristement commencé. Le jeudi 28 mai 2020, Jérémy Wasson, étudiant à l’Ecole spéciale des travaux publics (ESTP) en stage chez Urbaine de Travaux (Groupe Fayat) y a fait une chute mortelle.
Après les deux mois du premier confinement, l’étudiant de 21 ans, habitant de Rueil-Malmaison, était enthousiaste à l’idée de se retrouver sur un vrai chantier. En stage chez Urbaine de Travaux du lundi 25 mai au 17 juillet 2020, l’apprenti ingénieur devait travailler sur le chantier de construction de centre de commande pour la SNCF dans le cadre du projet Eole, et acquérir comme compétences “la découverte du fonctionnement global d’une entreprise à travers la connaissance des différents services, qu’il s’agisse de la production ou des fonctions support”, précisait sa convention.
Dès le début pourtant, tout ne se passe pas exactement comme prévu. “Lorsqu’il est rentré les premiers soirs, il a expliqué qu’il était surpris de l’accueil car, visiblement, il n’était pas attendu et c’était une surprise pour les gens du chantier de le voir arriver. Ils n’avaient pas défini ce qu’ils allaient lui demander de faire. La personne qui s’est occupée de lui n’était pas mentionnée dans la convention”, se souvient le père de Jérémy, Frédéric Wasson. L’étudiant avait prévu de s’en ouvrir avec les encadrants du stage à l’école mais voulait attendre quelques jours pour voir comment les choses allaient évoluer, ajoute-t-il.
De fait, le chantier a été perturbé, retardé en raison du confinement. Le premier jour, le jeune homme relate à ses parents avoir fait du marteau piqueur. Le jeudi 28 mai, au quatrième jour de son stage, la dernière mission qu’on se souviendra lui avoir confiée est celle de balayer et ramasser des câbles électriques afin que les ouvriers d’étanchéité puissent intervenir sur le toit du bâtiment en construction. “Au-dessus, il y avait une grue en mouvement”, indique le père.
C’est en début d’après-midi, peu avant 14 heures, que Jérémy est retrouvé 6 mètres plus bas. L’une des hypothèses serait une chute par l’un des trous de cheminée de désenfumage. L’entreprise n’arrive pas tout de suite à joindre sa famille et c’est l’hôpital de la Pitié Salpêtrière qui préviendra les parents vers 19 heures. L’étudiant décèdera deux jours plus tard, le 30 mai.
Pour les parents, les deux frères dont un jumeau et l’ensemble de la famille et des amis, c’est un séisme. “Jérémy était un rugbyman bon vivant. Après deux ans de prépa, il était content et faisait partie de toutes les associations.” Membre du Rugby Club Suresnes Hauts-de-Seine, Jérémy avait fait partie des Cadets demi-finalistes du championnat National U16.
Que s’est-il passé ?
Dès lors, les parents veulent comprendre. Que s’est-il passé sur le chantier ? Comment l’accident a-t-il pu arriver ? De la part de l’entreprise, la famille reçoit peu d’explications. “Urbaine de travaux nous a fait porter une lettre par coursier quelques jours après pour nous faire part de leurs condoléances, indiquant qu’ils mettaient en place une cellule psychologique pour l’équipe et les autres stagiaires”, témoigne Frédéric Wasson. D’après ce qui a été indiqué à la famille, aucun témoin n’a vu l’étudiant tomber mais il est impossible d’en savoir plus en attendant les conclusions de l’enquête judiciaire en cours.
A l’hôpital, les parents apprennent aussi que leur enfant est apparemment tombé la tête la première, les autres membres n’étant pas cassés. Une configuration de chute, qui, malgré le port du casque, provoque des lésions fatales. Mais comment une telle chute a-t-elle pu intervenir ? Le jeune homme a-t-il perdu connaissance avant la chute ? Beaucoup de questions restent en suspens. Le téléphone de Jérémy aurait peut-être contribué à documenter les circonstances de l’accident mais il est demeuré introuvable.
“Nous étions sous le choc, incapables de nous retourner. On ne pensait pas qu’il serait en situation de risque. C’est lorsque nous avons commencé à avoir des demandes de l’inspection du travail, de l’Assurance maladie et de la police que nous avons demandé à une avocate de nous aider. On veut que s’il y a des responsables et de la négligence, les gens soient punis et ne passent pas à travers”, prévient le père, qui veut aussi surtout “que cela n’arrive plus”.
Urbaine de Travaux ne souhaite pas s’exprimer
Du côté d’Urbaine de travaux, on ne souhaite pas s’exprimer, “une enquête étant en cours pour tenter de déterminer les causes et circonstances de cet accident”, s’en explique la directrice des ressources humaines de l’entreprise.
L’ESTP rappelle le protocole d’encadrement des stages
“L’accident dramatique survenu à Jérémy Wasson est un traumatisme pour chacun d’entre nous”, réagit pour sa part la direction de l’ESTP qui rappelle le protocole de l’école en matière de sécurité. “Lors des stages, les étudiants suivent un parcours d’intégration assuré généralement par l’entreprise, sur le port des équipements individuels et le maintien des dispositifs et mesures de protection individuelle et collective du site de production. Par ailleurs, chaque stagiaire est accompagné dans son processus d’intégration et tout au long de son stage par un tuteur en entreprise. L’école pour sa part accompagne les étudiants en préparation de leur parcours en entreprise. Dans la situation actuelle liée à la Covid où l’activité industrielle est perturbée, elle est d’autant plus attentive à préciser les attendus du stage, les mesures de protection que doivent mettre en œuvre les sites industriels, les conditions d’exercice de ce stage. Les étudiants peuvent, en cas de difficultés, quelles qu’elles soient, contacter le service des stages qui prend les mesures nécessaires pour en informer l’entreprise ; cela ne concerne pas que la sécurité mais tout type de problèmes qui pourraient survenir, les éventuels violences ou comportements sexistes en faisant partie”, détaille la direction dans un mail.
“A 21 ans, on ne mérite pas de mourir en stage“
“Personne ne fera revenir notre fils mais à 21 ans, on ne mérite pas de mourir en stage. Je souhaite que l’on éclaircisse la position des stagiaires, qu’on s’en tienne à leurs missions écrites. On ne peut pas demander à un stagiaire sur un chantier de faire des trucs tout seul dans son coin, reprend Frédéric Wasson. Et puis, je souhaiterais qu’il n’y ait plus de stagiaires chez Fayat tant qu’on a pas fait la lumière sur ce qu’il s’est passé”, réclame le père qui interroge aussi sur le niveau de sous-traitance dans les chantiers. “On s’imagine pourtant que dans un gros groupe, il y a plus de précautions, donc plus de sécurité et des meilleures conditions.”
Pour rendre hommage à Jérémy, ramassez du plastique ce week-end
Pour rendre hommage à Jérémy, un an après sa mort le 30 mai 2020, sa famille invite à ramasser du plastique dans la nature, en ayant une pensée pour lui, et à poster une photo sur un groupe Facebook dédié, car Jérémy était un fervent défenseur de l’environnement. L’an dernier, lors de ses obsèques, des dons avaient permis, en lieu et place de fleurs, d’adresser 12 000 euros à l’association The SeaCleaners, qui chasse le plastique dans océans.
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